Le syndicat national de l’édition (SNE) publie régulièrement sur son site Internet des dossiers sur le secteur de l’édition. Le dossier proposé concerne le numérique et plus précisément le livre numérique.

Depuis quelques années, le livre numérique suscite curiosité, interrogations et débats passionnés en France. Au départ circonscrit à un cercle d’early adopters, l’e-book a commencé à faire parler de lui avec le développement massif des smartphones et surtout avec l’engouement déclenché par l’arrivée des tablettes numériques sur le marché français. Au-delà de ces éléments, quels ont été les événements notables ainsi que les changements induits par le développement du livre numérique sur le marché français en 2011-2012 ?

Mutations récentes

Un environnement international porteur

Bien que le livre numérique ne représente encore en France qu’une faible part de marché, l’observation des tendances dans les pays anglo-saxons est instructive à plus d’un titre. Ainsi, d’après les statistiques établies par l’Association of American Publishers (AAP), les e-books, qui représentaient 0,6 % de la part de marché totale « trade » en 2008, constituent en 2010 6,4 % de cette même part de marché, avec un chiffre d’affaires net de 878 million de dollars. Le taux de croissance des ventes d’e-books est d’autant plus visible sur certaines catégories éditoriales. Par exemple, toujours selon les statistiques de l’AAP, les ventes de livres numériques en fiction adulte représentent en 2010 13,6 % de la part de marché de ce segment. Autre indicateur intéressant : d’après une étude menée par AT Kearney, le taux de pénétration de l’e-book atteint déjà 20 % sur le marché américain en 2011 et 7 % pour le marché britannique. De plus, les ventes de livres numériques connaissent sur ces marchés des taux de croissance spectaculaires: + 144 % entre janvier-août 2010 et janvier-août 2011, d’après les statistiques de l’AAP reprises dans l’étude AT Kearney.

Une volonté forte de la part des éditeurs français

Les éditeurs en France ont aujourd’hui pleinement conscience de l’importance, aux yeux du lecteur, de disposer d’une offre numérique de qualité, qui soit attractive et la plus large possible. L’offre numérique des éditeurs français s’est donc considérablement enrichie ces derniers mois, dans les domaines les plus variés (littérature française et étrangère, sciences humaines, livres pratiques, ouvrages techniques, etc.).
Cette croissance de l’offre passe d’une part par la mise en place, pour les nouveautés, de flux de production intégrant le numérique dès l’amont, notamment par l’usage du format structuré XML et par la génération automatisée ou semi-automatisée de fichiers EPUB et PDF pour les versions numériques, souvent en relation avec les compositeurs. Pour les nouveautés, le livre numérique peut donc être disponible simultanément au livre imprimé.
D’autre part, les éditeurs ont à cœur de convertir les livres de leur fonds au format numérique. Ceci a été notamment initié par les aides à la numérisation rétrospective et la diffusion numérique de documents sous droits, accordées par le Centre national du livre (CNL) depuis 2008. Ce programme a également permis d’alimenter la bibliothèque Gallica d’ouvrages sous droits (plus de 65 000 ouvrages disponibles au premier semestre 2012).
En 2010, avec le succès de l’iPad et des tablettes proposées par d’autres constructeurs, certains éditeurs se sont tournés vers les applications qui offrent une certaine interactivité au lecteur, intéressante dans des domaines comme le livre jeunesse ou le livre pratique par exemple. Les «apps» impliquent toutefois des coûts de développement importants, notamment si l’éditeur souhaite être présent sur des tablettes équipées de systèmes d’exploitation distincts (iOS, Android, etc.). A cette difficulté s’ajoute un certain manque de visibilité des applications des éditeurs sur les « stores » où l’on rencontre tout type de contenus (jeux, outils, services).
Dans le courant de l’année 2011, les évolutions du format EPUB – telles que normalisées par l’IDPF et adaptées ou devancées par les opérateurs – ont poussé de plus en plus d’éditeurs à créer des livres numériques dans ce format désormais plus adapté aux livres illustrés, principalement sous ses deux variantes actuelles : EPUB version 2 et EPUB Fixed-Layout.

Un intérêt des acteurs nord-américains pour le marché français

Même si le marché du livre numérique connaît une croissance bien plus forte aux Etats-Unis, les sociétés anglo-saxonnes sont déjà présentes sur le marché européen et français plus particulièrement. Apple a été le premier à se lancer en France en mai 2010, suscitant un véritable engouement pour sa tablette auprès du grand public. Amazon, qui fait figure de poids lourd aux Etats-Unis, est arrivé plus d’un an plus tard, en octobre 2011, avec le lancement de sa liseuse dédiée, le Kindle. Il a été aussitôt suivi par le Canadien Kobo, qui s’est allié à la Fnac pour pénétrer le marché français, fort du succès de sa liseuse tactile au Canada et aux Etats-Unis. L’arrivée d’appareils de lecture à bas prix (autour de 100 euros, tandis que les premières générations de liseuses valaient entre 250 et 350 euros) était attendue par de nombreux observateurs comme le premier pas vers une adoption massive de supports de lecture dédiés. Le lancement de ces matériels en fin d’année a très certainement joué un rôle dans les ventes de livres numériques de la fin d’année 2011 et du début de l’année 2012. Il faudra observer l’évolution de cette tendance sur le reste de l’année 2012.
Au-delà des acteurs ci-dessus, une société comme Google a déjà manifesté son intérêt pour le livre dans le passé, au travers du programme Google Livres. La transformation de son Android Market en Google Play au printemps 2012 laisse à penser que la plateforme sera destinée à vendre tout type de contenu (jeux, musique, vidéos, livres, etc.). Google Play Books a ainsi déjà été lancé aux Etats-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Australie, et en Italie.
Les détaillants français n’ont pas attendu pour se lancer sur le marché français. Ainsi, un certain nombre de libraires ont mis en place des sites de vente en ligne de livres numériques et plusieurs d’entre eux ont également installé des bornes de téléchargement de livres numériques dans leur magasin. D’autres acteurs ont pris position en nouant des partenariats avec des constructeurs comme Bookeen, le fabricant français de « readers ».

Un lectorat de plus en plus connecté

Selon les données GfK, le taux d’équipement des Français touche 68 % de la population à la fin de l’année 2011. Parmi les supports permettant la lecture numérique, on peut lister par ordre décroissant : les « smartphones », les ordinateurs portables, les tablettes et les liseuses. Alors que le parc matériel comptait en 2010 13 millions d’unités, il est passé en 2011 à 18 millions ; une part majeure revenant aux « smartphones » (7,7 millions en 2010 et 11,4 millions en 2011). Les hausses les plus importantes sont néanmoins dues aux tablettes (de 435 000 unités en 2010 à 1,5 millions en 2011) et aux liseuses à encre électronique (de 27 000 unités en 2010 à 145 000 unités en 2011). 45 % des lecteurs de livres numériques utilisent encore leur ordinateur portable, 23 % lisent sur leur tablette et 10 % lisent sur «reader» (source : REC+ / GfK).

Les usages de la lecture numérique se développent

Le livre numérique est de plus en plus connu du grand public : d’après une enquête Ipsos réalisée pour Livres Hebdo et présentée au Salon du livre 2011, 61 % des Français en ont entendu parler en janvier 2011 contre 47 % en septembre 2009. Le taux de lecture de livres numériques progresse également : 8 % des Français ont déjà lu un livre numérique (contre 5 % en septembre 2009).
Les résultats du premier Baromètre SOFIA/SNE/SGDL sur les usages du livre numérique en France, communiqués lors d’une présentation au Salon du livre de Paris en mars 2012, apportent un éclairage nouveau sur l’évolution des pratiques.

Un environnement législatif propice

Afin d’accompagner au mieux la filière du livre dans l’ère numérique, la puissance publique et le législateur se sont fortement impliqués en prenant plusieurs mesures destinées à apporter au livre numérique l’un des cadres de régulation les plus aboutis en Europe, soutien à la compétitivité des entreprises nationales et au maintien de la diversité culturelle.
Il en est ainsi de la loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique. A l’instar de la loi du 10 août 1981, mais avec des nuances liées aux spécificités de l’exploitation numérique, cette loi confère au seul éditeur la responsabilité de fixer le prix de vente public d’un livre numérique, lequel s’impose à tous les détaillants, sans distinction, qu’ils opèrent depuis la France ou depuis l’étranger.
L’autre mesure très attendue par les professionnels concerne l’harmonisation du taux de TVA du livre numérique sur celui du livre imprimé à partir du 1er janvier 2012, tel que cela a été voté en loi de finances le 15 décembre 2010.
Enfin, un important travail a été entrepris au cours de l’année 2011 sous l’égide du Pr. Pierre Sirinelli, au sein du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA), avec les représentants des auteurs et des industries culturelles, et plus particulièrement des éditeurs, pour adapter le contrat d’édition à l’ère numérique.

L’EPUB s’impose comme le standard de référence pour le texte

Le format EPUB est un format de fichier, ouvert et interopérable qui s’impose de plus en plus dans le monde de l’édition. Développé par l’IDPF (International Digital Publishing Forum), ce format de fichier non-propriétaire dérivé d’XmL, est composé de plusieurs fichiers (instance, structure, métadonnées…), réunis dans un conteneur. Cet organisme se donne en effet pour mission de favoriser au niveau global la disponibilité, l’enrichissement et l’accessibilité des publications numériques en développant et en promouvant des standards ouverts et interopérables, comme l’EPUB. L’IDPF a publié en octobre 2011 la version 3 de la norme. L’EPUB 3, basé sur les standards du web HTML 5 et CSS 3, intègre des fonctionnalités supplémentaires permettant davantage d’interactivité et de scénarisation.

Par définition, la chose numérique est mouvante et évolutive, surtout en phase d’émergence du marché. Pour y faire face et mieux appréhender les usages, il est nécessaire de s’informer et se former, d’échanger avec ses pairs mais aussi avec les autres acteurs du monde du livre. C’est le but des manifestations organisées par la commission Numérique : Assises, ateliers, plénières. Par ailleurs, celle-ci s’efforce d’apporter aux éditeurs des recommandations en termes d’usages numériques.

Actions concrètes

Agir en faveur de l’EPUB au sein de l’IDPF

Initialement moins présents à l’IDPF que leurs confrères américains ou asiatiques, les éditeurs européens, et français notamment, commencent à s’y impliquer, comme en atteste l’adhésion de maisons comme Hachette Livre et Eyrolles. Le Syndicat, via la commission Numérique, est également devenu membre de l’IDPF en 2012.
Outre l’EPUB qui fait l’objet de plusieurs groupes de travail au sein de l’IDPF, cet organisme vient également de lancer le projet Readium, dont l’objectif est de promouvoir une solution open source basée sur Webkit, permettant la lecture de fichiers EPUB 3 conformes à la norme.

Renforcer ses activités d’information et de veille

Face à la demande constante d’information sur les outils technologiques, la commission Numérique a orienté en 2011 ses travaux sur le format EPUB.
Les Assises du livre numérique en novembre 2011 ont permis de faire une première introduction au format EPUB 3 : une table ronde a ainsi été dédiée aux spécificités de la version 3 et aux possibilités qu’elle allait ouvrir pour les éditeurs. Cette session a fait la part belle au livre enrichi puisque de nombreux éditeurs se sont succédé à la tribune pour faire des démonstrations de leurs dernières productions de livres numériques enrichis et d’applications.
En mars 2012, les Assises du livre numérique se sont tenues sur une journée au Salon du livre. La matinée de rencontres a été dévolue à « la lecture numérique sous toutes ses formes » et a réuni plus de 400 participants. L’après-midi a consisté en quatre ateliers plus techniques sur « les formes et formats de la lecture numérique », qui ont débuté par une présentation de l’IDPF par Markus Gylling, directeur technique de cet organisme, donnant ainsi une envergure internationale à cette journée.

Le groupe de travail « Normes et Standards » de la commission Numérique mène également un travail sur les aspects techniques du livre numérique et s’efforce de mettre à la disposition des éditeurs de la documentation pratique pour aborder la question des formats, des normes et des standards en toute sérénité. Le groupe propose ainsi une fois par an un atelier à visée pédagogique sur une thématique (par exemple : les métadonnées ou la norme ONIX). En 2011-2012, un Guide du numérique à l’usage des éditeurs a été établi par le groupe, comportant un descriptif des principaux moteurs de lecture des fichiers EPUB, des conseils et cas d’usage pour la fabrication des fichiers EPUB et un lexique technique à jour. Ces documents sont destinés à être mis à jour régulièrement au fil des évolutions techniques.

Cerner les usages qui se font jour et suivre leurs évolutions

L’observation et le suivi des usages qui font leur apparition en France autour du livre numérique font partie des missions que s’est fixée la commission Numérique. Ainsi, le Salon du livre en mars 2012 a été l’occasion de communiquer sur les résultats du premier Baromètre SOFIA/SNE/SGDL sur les usages du livre numérique. Ce baromètre semestriel, qui a pour objectif d’observer les évolutions des usages du livre numérique, licites ou illicites, au regard notamment de ceux du livre imprimé, permet d’apporter un nouvel éclairage sur les profils, les pratiques, les motivations et les intentions des lecteurs de livres numériques. L’évolution et l’analyse dans le temps des tendances qui se dessinent constituent également un indicateur important des mutations autour du livre et de la lecture.

Emettre des recommandations

• Veiller à la qualité des métadonnées
Quels que soient les revendeurs, ceux-ci doivent disposer de métadonnées de qualité pour mettre en avant les catalogues des éditeurs, présenter les livres, en autoriser la découverte. Le groupe de travail « Normes et Standards » a consacré l’un de ses ateliers pratiques à cette question centrale puisqu’un livre ayant des métadonnées incomplètes ou erronées risque de ne pas être visible sur les sites des revendeurs. Il est donc indispensable que l’éditeur identifie les métadonnées du livre nécessaires à la diffusion de l’ouvrage.

• Attribuer un ISBN distinct aux livres numériques
L’ISBN identifie séparément, dans tous les secteurs de la chaîne du livre, chaque manifestation commerciale d’une publication physique.
Pour chaque publication numérique et pour chaque format, l’agence internationale ISBN demande aux éditeurs la même rigueur. C’est-à-dire un ISBN pour chaque manifestation numérique et un par format. A l’occasion d’un communiqué commun publié en 2010, le SNE, ELECTRE et DILICOM ont préconisé à l’ensemble des éditeurs de se conformer à cette recommandation dont le respect leur apparaît comme une des conditions du développement du marché du livre numérique.

• Utiliser la norme ONIX
La norme « ONIX for books » est un format d’échange de métadonnées. Une nouvelle version, ONIX 3.0, a été traduite en français à l’initiative du Cercle de la librairie. A l’occasion du communiqué de 2010, le SNE, ELECTRE et DILICOM ont recommandé aux éditeurs l’usage de la norme ONIX comme un facteur important de l’interopérabilité des fichiers de métadonnées dans le monde du livre, tant physique que numérique.
La commission FEL Numérique de la Clil a justement élaboré un Guide des bonnes pratiques sur le format ONIX 3.0 proposant des règles de codification pour chacune des métadonnées.

Source SNE