Inscription des Marquises : au patrimoine mondial : le sprint final !

Forte d’une volonté commune, et après de nombreuses étapes franchies, la démarche d’inscription des Marquises au Patrimoine mondial de l’Unesco s’est finalisée lors d’une dernière audition devant le Comité français du Patrimoine mondial (CFPM) le 18 octobre dernier. Reste désormais à obtenir l’accord du président de la République, Emmanuel Macron, déjà soutien annoncé du projet, qui portera à son tour la candidature auprès de l’Unesco. Retour sur ce long processus d’un projet désormais trentenaire proche de sa dernière marche.

Trente ans déjà que résonne, dans les vallées de la Terre des Hommes, ce projet ambitieux. C’est en 1996 qu’en émergent les prémices avec l’inscription, cette même année, de l’archipel sur la liste indicative des biens français en tant que « bien culturel ». Au fil des ans et des réflexions, ce dossier ne cesse d’évoluer jusqu’à prendre un tournant majeur en 2010, lorsqu’il fait l’objet d’une réinscription en tant que « bien mixte en série » (lire encadré page 24). Une évolution qui permet alors de valoriser le patrimoine exceptionnel culturel mais également naturel de l’archipel.

Entre culture et nature, un lien fort

Le lien étant si fort entre culture et nature, pourquoi vouloir les dissocier ?  Car, certes, les Marquises sont surtout reconnues pour leurs paysages uniques au monde, cette nature majestueuse sublimée à la fois par la beauté sauvage et puissante de ses montagnes escarpées, ses pitons dressés, ses hautes falaises ou encore ses cascades vertigineuses et ses vallées profondes. Une diversité environnementale vraiment exceptionnelle !

Mais elles sont aussi appréciées pour leur culture si riche et singulière. Mystique, magique ou encore intime, ce patrimoine culturel propre aux Marquises interpelle au-delà des frontières de la Polynésie française. Une culture forgée au des épreuves, de son histoire passée, de son environnement et de son développement. Les ensembles archéologiques monumentaux, les tiki et les pétroglyphes ainsi que la richesse des traditions orales en sont les témoignages extraordinaires !

Un projet porté par tous

Désormais menée par le ministre de la Culture, de l’Environnement et des Ressources marines, en charge de l’Artisanat, M. Heremoana Maamaatuaiahutapu, cette nouvelle candidature est avant tout portée par les Hakaiki (CODIM), la population marquisienne, et soutenue de manière collective par le Pays et l’État. Et elle vient de franchir une étape significative avec l’audition du 18 octobre devant le Comité français du Patrimoine mondial (CFPM), qui précède l’accord du président Macron pour la présenter à l’Unesco. Une fierté pour la population, les institutions et pour le groupe projet composé du ministère de la Culture et de l’Environnement, la DCP, la DIREN, l’OFB et la CODIM, qui ont oeuvré durant des années à la construction de ce projet. Un long processus engagé pour lequel bons nombres d’études, de commissions scientifiques, d’analyses, d’ateliers participatifs auprès de la population ont été menés avec pour objectifs de définir la valeur universelle exceptionnelle du bien (VUE), référencer les sites et espèces à protéger et recenser les axes de prévention/réglementation/ développement/transmission/ sensibilisation en vue de la rédaction du futur plan de gestion. Ce plan de gestion, tout comme l’adhésion au Patrimoine mondial, permettront d’associer la protection du patrimoine culturel et naturel, d’encourager le maintien et la transmission des connaissances traditionnelles et ainsi de préserver cet héritage, les fondements de l’identité marquisienne, pour les générations à venir tout en favorisant un cadre de développement pour l’archipel.

Pour un rayonnement international

Le nom officiellement attribué à la candidature par les Hakaiki, “TE HENUA ÈNATA- les îles Marquises”, est le symbole d’une unité et d’une volonté commune de faire rayonner l’archipel à l’international. Au-delà de l’essor touristique et économique attendu, la mise en lumière Unesco sur le plan international contribuerait également à une reconnaissance de la biodiversité remarquable de l’archipel. Puis, dans son ensemble, une reconnaissance de la valeur universelle exceptionnelle (VUE) des îles du Pacifique. Cette VUE représente en quelque sorte tous les atouts du Bien, ce pourquoi il est reconnu et protégé. La « Valeur » définit en quoi le bien est précieux ; « Universelle » souligne que l’importance des biens à protéger est d’ordre mondiale ; et « Exceptionnelle » qu’il s’agit des biens naturels et culturels, les plus exceptionnels de la Terre.

TE HENUA ÈNATA – les îles Marquises défendent la VUE de leur bien qui comprend plusieurs sites sur les principales îles de l’archipel, avec une inscription mixte combinant nature et culture. Concrètement elle se traduit par un écosystème naturel remarquable ; de nombreuses espèces endémiques ; une diversification d’une flore et d’une faune terrestres et marines uniques ; des paysages naturels spectaculaires (verticalité du relief, montagnes escarpées, crêtes et pitons parmi les plus hauts du monde) ; une richesse archéologique (architecture, tiki, pétroglyphes, paepae, sculptures…) ; et une culture originale et unique (légendes, mythes, langue, rituels…).

Transmission, préservation, et développement de l’héritage

Dans cette quête de préservation et transmission de cet héritage si riche, un axe essentiel est soutenu par le biais de cette inscription, celui d’encourager la perpétuation des connaissances et des traditions orales auprès de la jeunesse marquisienne. Construire l’avenir dans le respect de l’histoire en les impliquant dès le plus jeune âge ; et ce, par la mise en oeuvre d’un programme éducatif dédié et d’outils pour promouvoir le patrimoine marquisien.

En complément de l’éducation, la sensibilisation de la population aux enjeux environnementaux, à la surexploitation des ressources naturelles ou aux menaces environnantes est indispensable. Les associations locales estampillées “Patrimoine mondial” auront à coeur d’oeuvrer pour la préservation de leurs richesses patrimoniales et la sauvegarde de leur biodiversité exceptionnelle.

Une des étapes clé du projet réside également dans la mise en place du plan de gestion en concertation avec la population. Une opportunité de protéger le Bien, les espaces naturels et culturels et d’insuffler une gestion durable de cet écosystème unique et des richesses qui en découlent. À la fois complexe dans sa conception et si rassurant pour les générations futures, il aura le mérite de fixer une réglementation spécifique dont les principes auront été dictés par la population locale. Cet outil de gestion inclusif devra permettre d’assurer, sur le long terme, une gestion durable des ressources de l’archipel. Ainsi, les mesures recueillies auprès des différents acteurs socio-économiques devront permettre d’assurer un équilibre entre préservation et développement économique et touristique de l’archipel.

Ce développement doit, par la même occasion, conjuguer authenticité et croissance et le plan de gestion permettre, par exemple, d’anticiper l’augmentation de la fréquentation touristique. Car l’intérêt pour ces îles éloignées et mystérieuses est toujours plus grandissant. Et le coup de projecteur Unesco pourrait bien faire accélérer les choses !

L’enjeu sera encore une fois de préserver toutes ces richesses tout en pouvant répondre à cette demande de plus en plus forte (commerces, restauration, hôtellerie, excursions, etc.). Comment structurer le développement ? Quelle forme de tourisme privilégier ? Quelles actions encourager ? Quels bénéfices pour les productions locales ? Des réflexions essentielles dans la préparation du plan de gestion.

Freiner l’érosion des connaissances

Du point de vue culturel, l’inscription sur la Liste du Patrimoine mondial constituerait également un enrichissement des connaissances. Un travail d’acquisition des connaissances reste encore à mener tant sur le plan patrimonial que sur le plan naturel. Le patrimoine culturel présente encore aujourd’hui des caractéristiques bien vivantes provenant d’un héritage ancien malgré les ruptures dans la transmission des savoirs. Or, l’érosion des connaissances traditionnelles, toujours à l’oeuvre, notamment en raison du changement sociétal en cours, rend l’e&ort de connaissance et de valorisation de cette culture toujours plus nécessaire. C’est dans cette
perspective qu’oeuvrent la fédération culturelle et environnementale des Marquises Motu Haka (créée en 1978) et l’Académie marquisienne (créée en 2000), avec la population, au travers de travaux scientifiques ou éditoriaux, mais surtout grâce à l’élan du Matavaa, le festival des arts des Marquises. Ce festival, mis en place puissant pour la réappropriation, le partage et surtout le dynamisme de cette culture.

Depuis quelques années, le souhait de conserver des savoirs et des objets s’est manifesté par la mise en place de salles patrimoniales dans toutes les îles. Ainsi, Nuku Hiva en compte deux (Taiohae et Hatiheu), comme Hiva Oa (Musée Gauguin et l’espace Jacques Brel à Atuona) ou encore Ua Pou (Hakahetau). Fatu Hiva dispose de la maison Grelet à Omoa, Tahuata d’une salle située au coeur même de Vaitahu. Quant à Ua Huka, il s’agit là sans doute de l’île qui dispose du plus grand nombre de salles patrimoniales (Te Tumu, salle patrimoniale de la mer à Hane, de la sculpture à Hakatu ou encore celle dédiée à la généalogie de l’île dans les locaux de la mairie de Vaipaee). Tous ces lieux privilégiés sont le fruit de la passion de femmes et d’hommes pour la valorisation de leur patrimoine. Citons également l’initiative des aires marines éducatives (AME) dont la première au monde a été créée en 2013, à Tahuata.

Une catégorisation rare

Rares sont les territoires pouvant se targuer d’avoir autant de richesses à la fois culturelles et naturelles. C’est cette particularité qui permet aujourd’hui cette catégorisation en tant que “Bien mixte en série”. En effet, en plus d’être mixte (culture & nature), cette richesse se retrouve sur l’ensemble de l’archipel, c’est la raison pour laquelle elle est en “série”. Cette catégorie est d’ailleurs peu représentée au sein de la liste actuelle de l’Unesco. Au total 39 biens mixtes sur 1 154 biens inscrits en 2022, soit seulement 3,5 % des biens sont enregistrés dans cette catégorie. Parmi les biens mixtes, seuls 4 d’entre eux prennent en compte les deux écosystèmes que sont le terrestre et le marin et seulement 2 concernent la zone Pacifique. L’inscription de la riche biodiversité terrestre et marine des Marquises permettra à ce titre de compléter favorablement la liste du patrimoine mondial. Ce dossier représente une opportunité pour la France d’équilibrer son panel de biens qui en compte actuellement 44 dont 39 culturels, 4 naturels et un seul mixte, le bien transnational porté conjointement par la France et l’Espagne, Pyrénées – Mont Perdu inscrit en 1997.

LA PAROLE À
M. Édouard Fritch, président de la Polynésie française
« En tant que Président, cette inscription représente une reconnaissance, la reconnaissance de notre Pays dans toute sa diversité et sa richesse. Mais c’est également un espoir pour l’ensemble des Polynésiens. Celui de voir reconnaitre la Valeur Universelle Exceptionnelle de son Patrimoine culturel et naturel. De ce point de vue, les Marquises portent une image forte et je suis heureux que ce projet soit d’abord porté par la communauté marquisienne qui souhaite cette reconnaissance. Je souhaite qu’elle apporte naturellement aux Marquisiens un développement durable et harmonieux. Je souhaite qu’ils puissent trouver des possibilités d’entreprendre, tout en respectant leur milieu naturel exceptionnel. Je souhaite également qu’ils puissent s’épanouir dans leur culture riche et exceptionnelle. Il ne faut pas oublier que derrière cette reconnaissance universelle, il y a aussi des contraintes. Des contraintes parfois fortes, liées à la préservation de ce patrimoine et il convient de trouver les équilibres qui permettent à la fois la valorisation et la préservation de ce patrimoine et en même temps à la communauté d’y vivre et de s’épanouir. Pour les Polynésiens, j’aimerais qu’ils en tirent une grande fierté. Comme ce fut le cas lors du classement du marae Taputapuatea, une fierté que nous pourrons partager avec les Marquisiens bien sûr d’une part, mais aussi avec l’ensemble des Polynésiens du Grand Pacifique. Alors quels messages leur adresser ? Que le travail est loin d’être terminé. Bien au contraire, il ne fait que commencer. Nous allons franchir là une étape effectivement décisive dans un process qui est encore long. Mais je suis sûr qu’ils en sont conscients et je sais que nous pouvons compter sur eux pour que cette inscription soit un succès pour l’ensemble de la Polynésie française. »

M. Heremoana Maamaatuaiahutapu – Le Ministre de la Culture, de l’Environnement, des Ressources marines, en charge de l’Artisanat, expose les raisons pour lesquelles ce dossier de candidature est si particulier.

«Personne n’osait vraiment nous accompagner et, en fait, l’experte qui a travaillé avec nous sur le dossier Taputapuatea, on l’a un peu poussée à continuer avec nous et ça a débloqué un peu la situation. Et puis surtout, nous avons dû faire ici un gros travail avec les maires marquisiens, les Hakaiki, pour déterminer finalement les sites. Parce que 43 sites, tout le monde nous disait que c’était juste impossible. Unesco avec cette particularité qu’il faille à la fois répondre à une problématique culturelle et naturelle. Je pense que toutes nos équipes ont vraiment bien travaillé sur ce dossier. On est parti quasiment d’une feuille blanche quand on a récupéré ce dossier et aujourd’hui on est à la rédaction du plan de gestion!; c’est peut-être une partie aussi compliquée parce qu’il faut aller sur le terrain, c’est une construction participative de ce plan de gestion. La question à laquelle ont doit répondre aujourd’hui, et surtout les Marquisiens et les maires marquisiens est : qu’est-ce qu’on veut faire et qu’est-ce qu’on ne veut pas faire dans le cadre de cette inscription des îles

PRATIQUE
• En savoir plus sur la candidature!: www.patrimoine.pf