Pour mieux comprendre et connaître le ‘Ava
Le ‘ava, également connu sous le nom de kava et Piper methysticum, arbuste de la famille du poivrier sauvage était très utilisé dans les rituels sociaux, religieux et politiques avant d’être proscrit. Mais il a regagné sa place dans la tradition et les échanges coutumiers. Un livret lui est consacré, édité par la Direction de la culture et du patrimoine.
Natea Montillier Tetuanui se souvient des cérémonies de Matari’i i ni’a en 2007 alors qu’elle observe et participe à la consommation rituelle de ‘ava. « C’est très impressionnant et c’est une chance, en tant que femme, de pouvoir y assister, car autrefois c’était réservé aux hommes. La racine était mâchée par les jeunes filles mais bue par les hommes. » L’ethnologue commence alors à faire des recherches sur cette plante, ses usages et sa symbolique. « La cérémonie du ‘ava était un rituel social et religieux, jadis réservée aux hommes qui y prenaient place en fonction de leur rang social pour célébrer tout événement: intronisation de chef, accueil de dignitaires et gage de l’hospitalité offerte et acceptée, marque d’alliance de clans, scellement d’un serment, guerre, paix, fête religieuse, échanges de cadeaux, bravoure d’un guerrier, sacrifice d’un prisonnier sur le marae… ». La linguiste se rappelle bien aussi de la sensation laissée par le breuvage : « Il y a un engourdissement des lèvres, de la langue et du palais. Ce n’est pas très bon, c’est un peu âcre. Cela ressemble à un liquide boueux, comme souvent le sont les remèdes traditionnels, donc ça ne donne pas très envie. Il y a aussi une petite odeur qui n’est pas dérangeante. »
En Polynésie, la racine de l’arbuste était mastiquée par des jeunes filles puis crachée dans des ‘ūmete. Aujourd’hui on utilise souvent un sachet industrialisé en poudre du rhizome (500g pour 5l d’eau). Le contenu est dilué dans de l’eau ou de l’eau de coco » ; si ce sont bien les racines, selon la méthode traditionnelle, elles sont pressées puis le liquide est filtré. La salive aide à la fermentation de la préparation qui prend une couleur café.
Entre interdits, tolérance et usage quotidien
Boisson désapprouvée par les missionnaires au XVIIIe et les commerçants occidentaux au XIXe siècle au bénéfice de l’alcool, puis interdit, sans raison scientifique reconnue, par de nombreux pays dans les années 2002, le !ava n’est presque plus cultivé en Polynésie orientale, alors que jadis chaque clan avait ses champs de ‘ava, tel que cité dans le mythe de Hiro à Taha’a. Mais il reste consommé dans certaines îles d’Océanie, en Australie, Polynésie, Micronésie, Mélanésie, comme à Fidji où Natea Montillier Tetuanui a pu observer sa consommation au quotidien, certains dignitaires possédant de magnifiques bols à kava rituels en bois noble « en forme de tortue, avec un fond pointu, quatre pieds et une tête de tortue qui fait office de bec verseur » et des bols de coco d’un beau lustre jaune dû au fréquent usage, pour le partage qui doit respecter la hiérarchie des hôtes. L’utilisation du ‘ava est « tolérée » en Polynésie française lors de cérémonies traditionnelles car elle scelle ainsi des accords amicaux.
Cette plante a également des vertus médicinales ; elle était utilisée pour « soigner la blennorragie, des rhumatismes, la bronchite, la phtisie pulmonaire ». Trente tonnes de racines sèches sont consommées par an sur le marché pharmaceutique européen, notamment en France et en Allemagne de l’ouest, pour « des soins palliatifs » car la recette traditionnelle a des propriétés anesthésiques, relaxantes, tonifiantes et euphorisantes. « Toutes les plantes médicinales sont intéressantes », explique Natea Montillier, en digne héritière d’une passion familiale. En effet, sa grand-mère, Manua Vahine, et sa grand-tante, Mama Vahine, tradipraticiennes et expertes des plantes médicinales, communiquèrent de nombreuses recettes à Paul Pétard.
Premier livret d’une future série visant à « promouvoir un savoir-faire ou une tradition ancestrale (quand ils seront édités dans la collection Patrimoine polynésien) », celui-ci et les suivants seront distribués lors des soirées du Heiva i Tahiti et dans les établissements scolaires. Ils sont également disponibles pour tous en téléchargement numérique sur le site internet de l’éditeur, la Direction de la Culture et du Patrimoine (www.culture-patrimoine. pf). Les prochains livrets s’intéresseront au himene tarava et aux taura.
Références bibliographiques:
Rossile, Richard, Le Kava aux îles Wallis et Futuna: usage symbolique et cérémonial des origines à nos jours – (in Patrick O’Reilly, BSEO. n° 234 – Mars 1986 – Tome XIX – N° 11)
Cuzent, G., Du kava ou ava, Communiqué par M. le pharmacien P. Pétard (suite et fin) – extrait du BSEO n° 68 – Tome VI (N° 7) – Mars 1940 (Anthropologie, Ethnologie, Philologie) – pages 278 à 282
De La Roche, Jean, « Du kawa au rôle rituel de mastication », in Ethnographie.
Lebot, V. et Cabalion, P., Les kavas du Vanuatu – extraits, Paris 1986 – Orstom – 230 p. – BSEO n° 238 – Tome XX – n° 3/Mars 1987.
Rognon, Frédéric, Le kava, Inalco Paris 1983, extraits in BSEO n° 87-88 – Juin-Septembre 1949 – Tome VII (n° 17-18).
Brown, George, Melanesians and Polynesians, Their life histories described and compared, with illustrations, Ed. Macmillan and Co limited, St Martin’s street, London, 1910, Printed by R.& R. Clark limited, Edinburgh, England, 451pages.
Personne source : Maurice Rurua, Mo’orea, novembre 2008