Deux marae de Huahine font peau neuve

RENCONTRE AVEC MOOHONO NIVA, ARCHÉOLOGUE. TEXTE : JENNY HUNTER – PHOTOS : JEH ET DIRECTION DE LA CULTURE ET DU PATRIMOINE

Après deux mois de dur labeur, Moohono Niva, archéologue, épaulé par une équipe de sept jeunes de l’île, vient de finir la restauration des marae Fare Tou et Avaroa à Huahine. Un travail de fourmi pour revaloriser ces vestiges du passé et redonner du mana à ces lieux authentiques chargés d’histoire et parfois de trésors marins.

Tout d’abord, quelle est la différence entre rénover et restaurer ?

« Rénover, c’est reconstruire. Restaurer, c’est reprendre les mêmes fondements de base. Nous nous appuyons sur les fondations du site archéologique et on remet en place les pierres. On n’en apporte pas de l’extérieur, mais on utilise celles qui sont à l’intérieur du site pour les remettre en place. »

Vous venez donc de restaurer deux marae à Huahine…

« Oui, nous avons restauré les marae de Fare Tou et Avaroa situés sur le complexe archéologique de Maeva à Huahine. Ce complexe, ce n’est pas un ou deux marae, mais au moins une dizaine de marae avec des parcs à poissons et un fish pond (nurserie à poissons, NDLR). Ce site regorge de vestiges. Ce sont des marae construits l’un à côté de l’autre, au bord de la lagune de Fauna Nui. »

Depuis quelques années, la population alerte le Pays sur la dégradation de certains marae. L’initiative de ce travail de restauration leur revient-elle ?

« Depuis 2011, la Direction de la culture et du patrimoine est à l’origine de ce programme de restauration qui a permis celles des sites classés marae Ta’ata, Mahaiatea et de Opunohu. Nous avons commencé par les grands sites et ensuite, nous avons poursuivi. Pour ce faire, on dresse des bilans sanitaires pour savoir dans quel état sont les marae. À partir de là, nous priorisons nos interventions. On n’attend plus qu’ils s’effondrent pour pouvoir les restaurer ; si on attend 10, 15 voire 20 ans, des pièces vont disparaître et cela va se dégrader plus facilement. La restauration des marae classés de Maeva a débuté en 2022 et se poursuit jusqu’à présent. »

Combien de temps ont nécessité ces deux restaurations ?

« Pour les deux marae Fare Tou et Avaroa, le chantier a pris environ deux mois. On ne sait jamais à l’avance à quoi on peut s’attendre. On peut avoir des surprises. Certes, nous faisons des relevés pour avoir l’image des marae, mais d’un point de vue scientifique. Pour ce projet, nous avons constitué une équipe de sept personnes que nous embauchons localement et que nous formons. Nous leur apprenons comment placer les pierres, mais aussi à comprendre l’esprit du marae. Notre objectif est vraiment de rester dans l’esprit de ce qui a été au départ et surtout que cela reste conforme. »

Est-ce un travail méticuleux ?

« C’est un travail laborieux qui demande du temps. À Huahine, cela s’est plutôt bien passé car, comme on dit dans notre jargon, c’étaient des placements en appareillages irréguliers. Cela veut dire que les pierres ne sont pas disposées les unes à côté des autres de manière très régulière, comme c’est le cas dans les îles Sous-le-Vent. À l’heure actuelle, les travaux sont finis et le rapport a été rendu. »

Êtes-vous satisfaits des résultats ?

« Nous sommes assez satisfaits car aujourd’hui la restauration, ce n’est plus juste restaurer pour restaurer. Depuis une dizaine d’années, on suit une autre trajectoire. Nous voulons rester au plus proche de l’ancien vestige et tenter, en manipulant ces pierres avant nous, de comprendre les

choses. C’est pour cette raison que nous demandons aux gens de ne pas restaurer un marae ou de ne rien y faire car cela peut complètement le dénaturer. »

Qu’avez-vous appris sur ces marae ?

« Le marae Fare Tou est l’un de ceux qui ont une partie à l’arrière avec une certaine concavité. On a essayé de la retrouver par rapport à la description de l’archéologue Kenneth Emory, mais sur place, on ne la retrouvait plus. (…) Ce marae appartient à la classe des Marama, un groupe social très puissant qui a dominé dans presque toutes les îles de la Société. Outre la concavité, c’est le marae classique des îles Sous-le-Vent avec, bien sûr, des dalles de corail à une extrémité et le pavage. À mon avis, il servait aux rassemblements des chefs (notamment) pour la distribution et la répartition des rations.

Le marae Avaroa, lui, est lié aux fish ponds où les poissons étaient élevés. Il semblerait, après une enquête ethnographique, qu’il existait des fish ponds un peu partout. C’était vraiment de l’élevage de poissons. À Avaroa, il y a un écosystème, un biotope à l’intérieur du marae. Des systèmes d’ouverture à l’intérieur permettaient de classer les poissons par taille. À ce jour, c’est le seul fish pond qui reste à Huahine. Les autres ont été complètement détruits. C’est un patrimoine et une belle remise au jour de ce vestige qui avait presque disparu de notre langage.

Depuis que des lois contre l’élevage ont été mises en place, les gens ne savent plus faire ce genre de nurserie à poissons. La particularité de ce marae est qu’il y avait une plateforme avec le ahu ; on a cru que c’était un marae avec une cour simple comme on le voit partout. Mais le sol de ce marae est complètement différent. C’est un écosystème, et quand la mer monte, il est complètement recouvert. C’est donc un marae marin. Nos tupuna ont fait exprès. En revanche, là où il y avait les murs, nous pensons qu’il y avait un āua végétal (une clôture) qui protégeait les poissons à l’intérieur et les empêchait de sortir. »

Tous les éléments recueillis sur place vous ont-ils conforté dans certaines hypothèses quant à la fonction de ces marae ?

« Cela conforte effectivement des hypothèses sur l’importance du rahui. Ces marae sont importants dans le système de rahui et de la gestion de l’alimentation. On le voit au travers des systèmes de nurserie qui ont été retrouvés sur le marae ainsi que les pièges à poissons à proximité (…). »

L’avancée de la technologie vous aide-t- elle beaucoup dans vos travaux ?

« Cela a complètement évolué. Entre les années 1980-90 et aujourd’hui, cela n’a rien à voir. Aujourd’hui, il y a des choses que l’on peut comprendre d’une autre manière. Par exemple, aujourd’hui nous pouvons mettre en relation l’environnement, le biotope, la biomécanique, l’ingénierie sociale pour comprendre l’évolution du marae (…). »

Allez-vous poursuivre vos travaux dans d’autres îles ?

« La Direction de la culture et du patrimoine a récemment commandité le bilan sanitaire de la soixantaine de sites classés sur Tahiti et Moorea. Nous faisons un état des lieux pour déterminer quels sites à restaurer prochainement et ainsi sauvegarder un maximum de vestiges. Ce patrimoine, il faut absolument le préserver. Préserver le matériel et l’immatériel. Ce que l’on va chercher dedans, c’est l’intangible, le mana. »