O Tahiti E fait revivre la cérémonie du pai’atua au Marae ‘Ārahurahu – (Hiro’a n° 199 – Juillet 2024)

RENCONTRE AVEC HIRIATA BROTHERSON, RESPONSABLE DU DÉVELOPPEMENT DES ACTIVITÉS CULTURELLES AU CAPF, MARGUERITE LAI, CHEFFE DU GROUPE O TAHITI E, SIMONE GRAND, AUTEURE, ET HINATEA URARII-PAMBRUN, DE LA CELLULE DU PATRIMOINE CULTUREL AU SEIN DE LA DIRECTION DE LA CULTURE ET DU PATRIMOINE. TEXTE : LUCIE CECCARELLI ET DCP – PHOTOS : LUCIE CECCARELLI ET CAPF (SAUF MENTIONS)

Pour son quatrième spectacle sur le marae ‘Ārahurahu de Paea, Marguerite Lai, cheffe du groupe O Tahiti E, a choisi de mettre en scène une importante cérémonie rituelle d’antan, le Pa ́iatua, qui consistait à rassembler et déshabiller les divinités. Elle a collaboré avec l’auteure Simone Grand pour écrire son thème. Ce spectacle cérémoniel, qui s’annonce grandiose, est à découvrir les week-ends du 13 au 28 juillet.

Chaque année depuis dix ans, le Conservatoire artistique de Polynésie française (CAPF) produit un spectacle vivant sur le site du marae ‘Ārahurahu, à Paea, en marge des festivités du Heiva i Tahiti. Cette série de productions entre dans le cadre des missions de l’établissement, à savoir la préservation et la valorisation des arts traditionnels du fenua. C’est le groupe O Tahiti E qui s’y était produit pour la première fois en 2014. En ce mois de juillet, la célèbre troupe menée par Marguerite Lai est à nouveau invitée sur ce site sacré, aujourd’hui géré par la Direction de la culture et du patrimoine.

« Cette année, on voulait accueillir un groupe au style traditionnel car il faut pouvoir proposer un spectacle qui s’intègre dans l’environnement du marae ‘Ārahurahu », explique Hiriata Brotherson, responsable du développement des activités culturelles au CAPF. Et Marguerite Lai a imaginé pour l’occasion un spectacle cérémoniel qui lui tient à cœur, sur le thème du « Pa’iatua ». Étymologiquement, « pa’i » signifie « envelopper soigneusement » et « atua » désigne une divinité ou sa représentation. Le Pa’iatua est ainsi une importante cérémonie de rassemblement et de déshabillage des divinités, représentées par des to’o (lire encadré page suivante).

Une cérémonie « diabolisée »

« Cette cérémonie a été mise de côté suite à l’évangélisation de la population en 1797. Le souhait de la troupe, c’est qu’elle ne soit pas oubliée des générations futures », précise Hiriata Brotherson. Pour Marguerite Lai, le Pa’iatua, qui a été interdit par les missionnaires, mérite d’être célébré aujourd’hui afin de faire perdurer la culture et l’histoire polynésiennes. Pour travailler sur cette cérémonie, elle s’est appuyée sur les recherches de l’auteure Simone Grand, à qui elle a confié l’écriture de son thème.

« J’ai étudié différentes versions du Pa’iatua mais il faut savoir que la plupart des descriptions ont été faites par des missionnaires qui le considéraient comme maléfique », souligne Simone Grand. « À cette époque, la terre ne nous appartenait pas, on appartenait à la terre, et le marae sacralisait cette terre inaliénable. Les missionnaires avaient tout intérêt à diaboliser les cérémonies qui s’y déroulaient pour pouvoir s’approprier les terres. Le Pa’iatua était une fête qui montrait à la fois la force et la générosité d’une chefferie. Elle permettait de se renforcer mutuellement et de conforter les alliances. »

Les to’o, matérialisation du divin

Lors de ces cérémonies, des to’o en bois de fer (‘aito) creusé, contenant parfois des sortes de reliques, étaient utilisés. Ils étaient alors débarrassés de l’ancientapa qui les recouvrait, généralement abîmé par l’humidité, et enveloppés « avec tendresse dans une nouvelle étoffe ».

« Des plumes étaient tressées sur les to’o à l’aide de nape (cordelette fabriquée avec des fibres de bourre de coco, NDLR). On dit que ces tressages racontent des généalogies. J’ai vu des to’o où il restait encore quelques plumes », raconte Marguerite Lai, qui réfléchit au thème de son spectacle depuis trois ans.

« J’ai eu l’occasion de voir un to’o magnifique dans les réserves du musée de l’Homme à Paris, datant peut-être d’il y a 300 ans. Il avait été tressé avec du nape de trois couleurs différentes et avait dessus la forme d’un ti’i. L’équipe du musée avait scanné le morceau de bois qu’il contenait et y avait trouvé des dents, des plumes et des morceaux d’ongles. Qui sait à quel tahu’a ou à quel roi ils appartenaient... »

Pour son spectacle au marae, Marguerite va utiliser un to’o confectionné par le Centre des métiers d’art, ainsi que quatre ti’i en bois et en pierre. « Cela n’a pas été facile de trouver un to’o, beaucoup de gens n’en ont même jamais vu de leurs yeux. Il y en a au musée mais il est interdit de les sortir », explique Marguerite Lai.

Près de 200 personnes mobilisées au marae

Si, pour son quatrième spectacle sur le marae ‘Ārahurahu, Marguerite Lai a choisi de mettre en scène cette grande cérémonie, elle compte bien la présenter en tant que telle. « Les danseurs ne se produiront pas uniquement face aux spectateurs. Une partie du groupe va danser pour le marae et pour les acteurs de la famille royale. Ce ne sera pas un spectacle face tribune. D’ailleurs, il n’y aura qu’une seule tribune en ligne, il n’y aura pas celle qui ferme la perspective de la cocoteraie (habituellement, les tribunes sont montées en L, NDLR). »

Près de 140 musiciens, danseurs, pupu hīmene,‘ōrero, acteurs et artisans fouleront ainsi le sol du marae, dans un spectacle construit en quatre tableaux, depuis l’entrée grandiose de la famille royale et ses invités ari’i jusqu’aux danses guerrières,‘ōte’a et différents chants.

Le spectacle, d’une durée d’environ 1 h 15, sera précédé, comme d’habitude, de diverses animations sur le site, avec les tableaux vivants animés par la troupe, les stands des artisans de la commune, la buvette tenue par une association culturelle… Près de 200 personnes ont été mobilisées pour l’occasion, depuis les artistes jusqu’à la logistique, afin d’offrir un moment grandiose aux spectateurs présents. Et pour ceux qui ne pourront s’y rendre, sachez que le spectacle sera retransmis sur les chaînes locales mais aussi, pour la première fois, à la télévision nationale, via les émissions de France TV.

PRATIQUE

  • Six spectacles de O Tahiti E les samedis et dimanches 13, 14, 20, 21, 27 et 28 juillet, à 15 heures, au marae ‘Ārahurahu, à Paea.
  • Billetterie assurée par le CAPF en son centre de Tipaerui aux horaires de bureau (de 8 heures à 16 heures, 15 heures le vendredi) et sur place les jours de spectacle.
  • Tarifs à 2 000 Fcfp, 1 000 Fcfp pour les enfants de 2 à 12 ans, gratuit pour les bébés et les PMR.
  • Pour chaque date, 200 billets sont offerts à un public défavorisé des communes limitrophes.
  • Informations au 40 501 414 et sur les sites www.conservatoire. pf et www.heiva.org

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Le Pa’iatua : le rassemblement et déshabillage des dieux

La spiritualité et la religion polynésienne se manifestaient essentiellement sur les marae, où se déroulaient les activités et cérémonies religieuses, politiques mais aussi sociales de la société polynésienne pré-européenne. Il existe différents types de marae, d’importance publique ou domestique.

L’une des cérémonies les plus importantes qui s’y déroulait était le Pa’iatua, qui avait toujours lieu au marae national en certaines occasions, comme la consécration d’un souverain, la mise en place de la pierre de fondation d’un marae national, les prières en période de sécheresse ou encore après de grandes calamités.

Il fallait au préalable procéder au nettoyage et défrichage du marae ainsi qu’à sa rénovation. Pendant ce temps, le tahu’a (prêtre), le ari’i nui (grand chef ) et quelques privilégiés appelés ‘ōpure (fidèles assistant aux cérémonies) se préparaient de la façon suivante (extrait de l’ouvrage Tahiti aux temps anciens de Teuira Henry) :

« Le prêtre n’avait aucun contact avec sa famille ou avec la cuisine et ne faisait aucun travail domestique. Il se baignait souvent, se serrait fortement la taille avec une ceinture et s’efforçait de manger peu. Il dormait loin des autres et, étendu sur sa couche, répétait ses prières. Ses cheveux n’étaient pas coupés ni huilés et il ne portait ni fleurs ni feuilles parfumées… Le grand chef et quelques privilégiés appelés ‘ōpure, qui devaient aller au marae avec les prêtres, se purifiaient et se préparaient pour l’occasion mais moins rigoureusement. »

Une « période sacrée » et restrictive

Deux jours avant la cérémonie, le ari’i nui faisait une proclamation, communiquée à tout le royaume par des messagers qui rassemblaient la population au son des pū. Cette proclamation faisait état de toutes les règles et de tous les interdits qui allaient être en vigueur durant la durée de la cérémonie (trois jours). Ces règles étaient strictement respectées par les personnes de tout rang. Chaque maison cuisait suffisamment de nourriture pour aller jusqu’à la fin du troisième jour, où les restrictions étaient levées. Le début de la « période sacrée » était annoncée grâce au tambour du ari’i nui. Dès lors, tout était silencieux, plus personne ne se déplaçait et pas un feu ne brûlait.

Lors du Pa’iatua, les dieux étaient représentés par des to’o, figures anthropomorphes sculptées dans le bois soit par celui qui désirait s’assurer les services de ces derniers, soit par des spécialistes. La fabrication et la consécration des to’o les plus importants devaient être faites par des personnes de haut rang désireuses d’obtenir un accroissement de leur force spirituelle.

Lors de la cérémonie du Pa’iatua, c’était au tahu’a nui (grand prêtre) que revenait la charge de consacrer les nouveaux to’o et d’invoquer les dieux ou déesses censés représenter ces idoles. Parfois, des traits humains figuraient à la surface de l’enveloppe. Ces to’o appartenaient aux familles et étaient conservés dans les marae ou à proximité de ceux-ci, gardés dans un fare atua (maison des dieux), sorte de coffre sacré.

Une cérémonie en trois parties

La première partie de la cérémonie du déshabillage des idoles se passait sur le marae. Le tahu’a nui devait procéder au déshabillage du dieu tutélaire et des dieux messagers les uns après les autres, en les présentant à l’eau sans les y baigner. Ainsi, le firi nape (fibres de coco tressées), le tapa et les plumes rouges qui recouvraient et habillaient les to’o étaient retirés afin d’être remplacés par de nouvelles étoffes, tresses et plumes. Cette cérémonie s’accompagnait de plusieurs prières, incantations et chants dédiés aux dieux, ainsi qu’aux messagers célestes, et durait une nuit entière. On raconte que seuls les prêtres pouvaient y assister sans en mourir.

Durant la deuxième partie de la cérémonie, c’était au tour des prêtres des marae locaux, aux représentants des marae sociaux, ancestraux et royaux, aux docteurs, aux constructeurs de pirogues, aux pêcheurs et aux sorciers de procéder au déshabillage de leurs dieux inférieurs. Le processus était le même.

La troisième et dernière partie de la cérémonie était consacrée aux nouveaux to’o récemment taillés. Le tahu’a nui s’occupait de les habiller et de les consacrer en invoquant les dieux et déesses qu’ils étaient censés représenter. Un cochon mâle, sacré, était offert en sacrifice. Peu de temps après, le roulement des grands tambours annonçait que la cérémonie sacrée était terminée et que les dieux si craints allaient être emmenés.

Source : Hinatea Urarii-Pambrun, de la cellule du patrimoine culturel de la Direction de la culture et du patrimoine