Retour sur le festival des arts du Pacifique – (Hiro’a n°199 – Juillet 2024)
Du 6 au 16 juin s’est déroulé le Festival des arts du Pacifique (Festpac) à O’ahu (Hawaii), dont l’objectif est de faire revivre et préserver les pratiques et savoirs traditionnels. Plus de 2 000 délégués de vingt-sept pays étaient présents : musiciens, chanteurs, danseurs, artisans, tatoueurs, écrivaines, accompagnateurs… Parmi eux, Viri Taimana, 1er vice-président de la troupe Temaeva, porteur du projet de la délégation polynésienne, nous livre son point de vue sur cette édition.
Quel a été votre rôle dans cette aventure Festpac 2024 ?
« J’ai été le porteur du projet, de l’appel d’offres à la candidature de Temaeva. Après avoir refusé une première fois car c’est un travail qui demande du temps, de la documentation, beaucoup de réflexion, et d’organisation. J’ai finalement accepté sous la demande insistante des membres du bureau de l’association. »
À la délégation officielle polynésienne, se sont aussi ajoutés des Marquisiens et des Mangaréviens venus par leurs propres moyens…
« Initialement, nous devions être 100 dans la délégation officielle. Les Marquisiens voulaient mieux représenter leur spécificité culturelle et une vingtaine d’entre eux sont allés par leurs propres moyens. Des Mangaréviens ont également tenu à venir. Finalement, nous étions 140, reflétant la diversité de la Polynésie, qui est en soi une très bonne chose car chacun a pu s’exprimer dans sa langue avec ses chants et ses danses. »
Il y a eu aussi des surprises pour les costumes…
« Cela ne concerne que les ‘autī, il faut savoir qu’il n’est pas interdit d’amener des ‘autī à Hawaii, mais ils doivent être soigneusement nettoyés. Ceux passés à la biosécurité hawaiienne ne l’étaient pas tous et ont dû être saisis pour éviter l’introduction de parasites sur le sol hawaiien, à leur demande, j’ai autorisé la destruction des végétaux, ‘autī et fougères. Il a fallu en trouver d’autres. Cela a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Un des professeurs de l’université d’Hawaii nous en a fourni 2000. C’est une belle histoire d’entraide. »
Quels ont été les temps forts de ce festival pour la délégation polynésienne ?
« L’accueil de l’équipage de la pirogue Fa’afa’ite a été un moment fort, un accomplissement pour nos valeureux marins partis de Tahiti pour être au rendez-vous la veille de l’ouverture du Festpac. Deuxième temps fort, les artisanes, qui ont connu un grand succès et aussi les artistes pour l’exposition d’art océanien contemporain. La diversité de nos productions ont surpris les organisateurs car je voulais que nous soyons présents dans toutes les disciplines. Malheureusement les organisateurs du Festpac ont annulé l’atelier utilisant les nouvelles technologies comme la projection 3D. Enfin, un beau travail de notre équipe de sculpteurs, qui a rejoint le village et a fabriqué une grande pagaie selon le thème imposé. Ils ont choisi de réaliser un design élégant en mettant l’accent sur l’esthétique et son utilisation pratique, à l’image de celles réalisées dans les îles de la Société, avec une ronde-bosse, une sculpture sur le pommeau et des incrustations de nacres en forme d’oiseaux de chaque côté du manche et de poissons sur la partie immergée. »
Quelles ont été les actions de la délégation polynésienne ?
« Nos danses, nos chants et nos déclamations étaient basés sur la thématique du festival : Ho’oulu Lāhui : Regenerating Oceania. J’ai intitulé notre thématique : Aeha’a ma te Ha’eha’a, en haute mer avec humilité. En les créant, j’ai voulu montrer l’importance de l’océan dans nos vies. Par le cycle de l’eau qui part de la mer et finit dans les rivières, les sources jusque
dans nos maisons. 60 % de l’oxygène nous vient de nos océans. Pour ressourcer l’Océanie, il nous faut commencer par ne plus jeter de déchets dans la mer. Nous connaissons tous les effets néfastes du continent plastique, situé au-dessus de Hawaii, du point Nemo qui sert de poubelle à tous les satellites en fin de vie, du Japon qui déverse l’eau contaminée de Fukushima dans la mer… Que disent les peuples du Pacifique ? Rien. Nous allons droit vers une catastrophe généralisée. Nous sommes les peuples de l’océan comme le dit Epeli Hau’ofa « l’océan est en nous, nous sommes l’océan » Tout le monde en est conscient, mais certains n’ont pas envie de l’entendre car trop impliqués dans le système capitaliste et individualiste alors que l’Océanie est fondée sur un système communautariste. Il nous faut nous engager vers un autre développement plus respectueux de notre environnement et donc de nous-mêmes. »
Qu’est-ce qui mériterait d’être repensé dans ce festival ?
« Le comité organisateur a fait un énorme travail et là nous devons les saluer !
Par contre, on nous a imposé, les Hawaiiens et Maoris, une sorte de TAPU, restriction, au village des sculpteurs, c’est-à-dire que le plateau de travail était interdit aux femmes même si elles sont sculptrices. Nous avons trouvé cela indigne des cultures du Pacifique qui imposent une forme de discrimination envers les femmes et même je dirai une pratique qui n’a plus lieu d’être au XXIe siècle. Ils ont une évolution à faire de ce côté-là, sinon à quoi cela sert d’inviter toute l’Océanie s’ils imposent leur culture d’un autre âge à tous ! C’était le point noir de ce festival que je dénonce fortement !
Quel bilan dressez-vous du festival ?
« Nous avons été très honorés de représenter notre pays, nos us et coutumes et encore plus avec les représentants de Te Henua Enana ainsi que les représentants de Ma’areva. Pour une fois la Polynésie a montré sa richesse et son union. Nous avons aussi aimé être en communion avec les nations du Pacifique, l’hommage que nous avons rendu à la délégation de Nouvelle-Calédonie Kanaky. Je nous trouve beaux, belles, extraordinaires, fantastiques et les superlatifs ne manquent pas, nous sommes les dignes représentants de nos illustres ancêtres et c’est avec fierté que nous nous retrouvons ensemble pour célébrer nos cultures océaniennes. Nous avons abordé lors des conférences les thématiques culturelles liées à l’écologie, au développement durable, nos ambassadeurs et ambassadrices ont évoqué le futur de nos cultures, nos relations d’interdépendance…. Il nous faut maintenant transformer les paroles en actes concrets. Dire, par exemple à ceux qui produisent du plastique dans nos territoires d’arrêter et de trouver des substituts. »
Quelle est l’opportunité pour la Polynésie française de participer à ce genre d’événement international ?
« Comme tous les États, la Polynésie se doit de participer à ces rencontres ; cela fait partie de sa représentation à l’extérieur. C’est une démarche positive car nous avons aussi à apprendre des pays du Pacifique. Nous devons apprendre à travailler ensemble pour préserver au mieux nos intérêts et exposer nos positions et notre attachement à l’Océanie, à notre mer d’îles. »
Un cap à tenir pour le prochain Festpac en 2028 qui devrait se dérouler en Nouvelle-Calédonie ?
« Je suis pour une représentation valorisable de nos archipels. Il faudra permettre à chaque archipel de présenter ce qui la caractérise au mieux. C’est vers cette direction que nous devons tendre en insistant auprès de nos gouvernants, des institutions et des collectivités décentralisées dans nos archipels. »
*Epeli Hau’ofa