« Te Henua Enata – Les îles Marquises » classées à l’Unesco (Hiro’a n° 201 – Septembre 2024)
RENCONTRE AVEC ANATAUARII TAMARII, RESPONSABLE DE LA CELLULE PATRIMOINE CULTUREL À LA DIRECTION DE LA CULTURE ET DU PATRIMOINE ET COORDINATEUR DU PROJET, BENOÎT KAUTAI, MAIRE DE NUKU HIVA ET PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DES ÎLES MARQUISES (CODIM), ET CANNELLE TEAO-BILLARD, COORDINATRICE PATRIMONIALE DES ÎLES MARQUISES AUPRÈS DE LA CODIM. TEXTE ET PHOTOS (SAUF MENTION) : PAULINE STASI
« Te Henua Enata – Les îles Marquises » a été officiellement inscrit à l’unanimité sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco le 26 juillet lors de la 46e session du Comité du patrimoine qui s’est tenue à New Delhi en Inde. Une annonce historique qui récompense des années de travail et permet à l’archipel d’obtenir le prestigieux label Unesco pour ce classe- ment dans la catégorie, rare, des biens à la fois mixtes et en série.
Le tiki de Hiva Oa n’était pas le seul à afficher un large sourire le 26 juillet dernier. Toute la délégation polynésienne, menée par Ronny Teriipaia, le ministre de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Culture, accompagné de Taivini Teai, ministre de l’Agriculture, des Ressources marines et de l’Environnement, ainsi que des six Hakaìki marquisiens (les maires de chacune des îles habitées), a laissé éclater sa joie à l’annonce de l’inscription sur la liste de l’Unesco du « Te Henua Enata – Les îles Marquises ». Fait rare, cette décision a été prise à l’unanimité par les 21 États membres du Comité du patrimoine de l’organisation onusienne spécialisée dans la culture, la science et l’éducation.
« C’était un moment très fort et émouvant », reconnaît Anatauarii Tamarii, archéologue et chef de la cellule du patrimoine culturel et coordinateur du projet. Si cette inscription est évidemment une grande source de satisfaction et de fierté pour les Marquises et pour toute la Polynésie française, la décision finale n’est, en réalité, pas une réelle surprise. « Cela fait des années que l’on travaille sur ce dossier, il était très bien préparé et soutenu par le Pays et la France. Le projet a dépassé les clivages autonomistes/indépendantistes, les politiques l’ont soutenu pour le bien de la Polynésie et des Marquises, l’intérêt général l’a emporté. Lors de sa venue à Hiva Oa en août 2022, le Président Macron avait apporté son soutien à la candidature des Marquises (…). Le travail de lobbying en amont, la veille du vote à New Delhi, a également porté ses fruits », confie l’archéologue, qui travaille sur le projet d’inscription des Marquises à l’Unesco depuis sept ans. « L’ancien ministre de la Culture, Heremoana Maamaatuaiahutapu, m’avait demandé en 2017 de travailler à 50 % sur ce dossier, c’était juste après le classement de Taputapuātea à l’Unesco, le premier site polynésien à y être inscrit. Mais le projet est ancien », précise-t-il.
À l’origine : le Marquisien Lucien Kimitete
En effet, si le dossier a connu un coup d’accélération ses dernières années, sa genèse en revient à un homme, le Marquisien Lucien Kimitete qui, il y a plus de trente ans, en 1993, a été le premier à évoquer le classement de l’archipel au patrimoine mondial de l’Unesco. Trois ans après, en 1996, les Marquises étaient inscrites sur la liste indicative des biens français en tant que « bien culturel ». En 2010, l’archipel y est inscrit en tant que « bien mixte », pour son patrimoine culturel autant que naturel.
Le dossier finalement présenté à l’Unesco a concerné un«bien mixte»et«en série» car il s’étend sur plusieurs îles et inclut des périmètres à la fois terrestres et marins. Un modèle de candidature complexe et rare porté et soutenu tout au long de ces dernières années par de nombreux acteurs et partenaires, dont les services du Pays, de l’État, de la Codim, des acteurs socio-économiques locaux, des entités associatives et de la communauté marquisienne… Tous ont apporté leurs expertises et travaillé avec acharnement et motivation en intégrant la population pour aboutir à cette inscription historique que le ministre polynésien de la Culture a qualifiée dans un communiqué final comme « une reconnaissance du patrimoine unique des îles Marquises, mais aussi une opportunité de développement et de rayonnement pour la Polynésie française. » ◆
L’archipel du bout du monde
Situées près de l’Équateur, au nord de la Polynésie française à 1 400 km environ de Tahiti, les Marquises sont souvent désignées comme « l’archipel du bout du monde ». En effet, ses îles sont, au plus près d’un continent, à 4 700 km de la péninsule de Basse-Californie, à 6 300 km du Pérou, et à plus de 8 000 km de l’Asie. Selon le dernier recensement de la population mené en 2022 par l’ISPF, elles comptent 9 839 habitants soit 3,5 % de la population de Polynésie française qui en compte 278 786.
Le bien mixte et en série présenté au classement
Le bien proposé à l’inscription ne porte pas sur l’ensemble de l’archipel mais sur un nombre limité de sept composantes à la fois terrestres et marines, représentatives des valeurs naturelles et culturelles les plus remarquables au regard de l’importance et de l’apport des îles Marquises dans la compréhension des cultures insulaires du Pacifique au sein d’un environnement naturel exceptionnel. Ce bien couvre une superficie de 30 680 ha (306,80 km2) de terres émergées (y compris îlots et rochers) sur les 105 000 ha (1 050 km2) que représente l’ensemble de l’archipel soit près de 29,2 % et 315 069 ha (3 150,69 km2) d’espace marin côtier soit 85 % du linéaire côtier de l’archipel. Au total, le bien représente une superficie de 345 749 ha (3 457,49 km2).
Parmi les sept composantes qui forment la série du bien, quatre sont habitées (Nuku Hiva, Ua Pou, Hiva Oa – Tahuata et Fatu Iva), deux sont inhabitées (Eiao – Hatutu et Fatu Uku) et une n’est retenue qu’au titre de son espace marin côtier remarquable (Ua Huka).
Eiao et Hatutu : totalité des deux îles et de leur zone marine côtière.
Ua Huka : zone marine côtière.
Nuku Hiva : Hatiheu, Anaho, Haatuatua, Hakaui, Nuku a Taha, Te-Kao O’oumu Matahamo & Vaipupui, sa zone marine côtière.
Ua Pou : Haka’ohoka, Hoho’i, Motu Oa, Mokohe, Takae, sa zone marine côtière.
Hiva Oa et Tahuata : Puamau, Taaoa, Mont Temetiu, Mont Haaoiputeomo, Motopu, leur zone marine côtière.
Fatu Uku : totalité de l’île et sa zone marine côtière.
Fatu Iva : vallée de Hanavave, monts Tou’aouoho et Mounanui, vallée d’Omoa, pointe Teae, sa zone côtière.
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Un bien complexe à gérer
L’inscription de « Te Henua Enata – Les îles Marquises » au patrimoine mondial de l’Unesco marque l’aboutissement d’un projet de plus de trente ans, mais il représente aussi le début d’un nouveau défi. C’est au comité de gestion, dont la mise en place est prévue d’ici la fin de l’année, que revient la délicate mission de concrétiser les objectifs et les actions indiqués dans le dossier de candidature.
« Le plus simple a été fait, maintenant il reste le plus dur : il faut gérer ce bien complexe », indique assez rapidement Anatauarii Tamarii, le responsable de la cellule patrimoine culturel à la Direction de la culture et du patrimoine. En effet, si l’inscription des Marquises est une énorme satisfaction, elle est loin d’être une fin en soi, et plutôt le début d’une nouvelle aventure. Pour la mener, le dossier de candidature prévoit la mise en place d’ici la fin de l’année 2024 d’une gouvernance efficace et durable : un comité de gestion. Ce dernier sera notamment composé du ministre de la Culture et de l’Environnement, de la Codim et de ses six maires, d’un représentant de l’État, de la cellule de coordination, des services techniques du Pays et d’experts selon les ordres du jour, ainsi que d’un représentant de chacune des six associations patrimoine mondial (une par île). Ce comité sera co-présidé par le ministre de la Culture et de l’Environnement et le président de la Codim.
Trouver le bon équilibre
Selon le dossier de candidature, cet organe de gouvernance a pour feuille de route de « valider les orientations stratégiques, de définir et actualiser le programme des actions à entreprendre pour la mise en œuvre du plan de gestion, de consulter des experts, ainsi que de valider le bilan annuel et les différentes communications officielles à l’Unesco. Celles-ci pourront concerner des communications spontanées et des communications obligatoires ».
Le défi principal pour le comité de gestion est d’arriver à l’équilibre souhaité qui consiste à la fois à mettre en valeur le patrimoine culturel et naturel des biens inscrits et de participer au rayonnement et au développement des Marquises et de la Polynésie tout en préservant l’âme et le caractère unique de l’archipel et de sa population.
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Trois questions à Benoît Kautai, président de la Codim
« La transmission aux générations futures »
Quelle a été votre réaction à l’annonce de l’inscription ?
« Il y avait beaucoup d’émotions. J’ai pensé à mon prédécesseur Lucien Kimitete, qui a initié ce projet, à tous les anciens qui sont partis et qui ont œuvré pour la culture marquisienne. J’ai pensé aussi à toutes les personnes nombreuses des services de l’État, du Pays, qui ont travaillé pour ce classement (…). Ce n’est pas une victoire uniquement marquisienne, mais aussi polynésienne et française, on a eu le soutien sans faille du président de la République. »
Comment s’est déroulée la séance à New Delhi ?
«Deux dossiers sont passés avant “TeHenuaEnata-LesîlesMarquises”, cela nous a permis de mieux nous rendre compte du fonctionnement. L’ambassadeur de France en Inde et Ronny Teriipaia, le ministre de la Culture, ont fait deux interventions, chacune de deux minutes. Un film a été diffusé pour présenter notre candidature ; j’ai été impressionné par le montage des images des paysages, de la culture des Marquises qui défilaient, pendant que le rapporteur parlait (…). La délégation du Liban a proposé un amendement qui avait été retiré, visant à réintroduire un critère au niveau de la culture. Le Liban a été suivi par sept ou huit pays, ce soutien a été très important. Les États membres sont venus nous dire combien notre dossier était bien (…). »
Qu’en est-il maintenant ?
« Il faut gérer le bien maintenant. Avant même notre départ en Inde, nous avons signé une convention avec une entreprise pour qu’elle embauche les ambassadeurs. Ils ont un rôle très important auprès de la population. Il nous faut aussi chercher des financements. Nous avons le fonds vert qui nous permet de voir dans les deux ans à venir, il vaut voir ensuite. On pourrait signer une convention tripartite, s’inspirer aussi de ce qui se fait à Rapa Nui qui fait payer une entrée pour visiter tous ses sites. C’est un exemple bien sûr (…). On ne veut pas d’un tourisme de masse, l’important pour nous avec ce classement, c’est la transmission aux générations futures de notre culture, de préserver notre nature. »
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Cannelle Teao-Billard, coordinatrice patrimoniale des îles Marquises auprès de la Codim
« Mettre les Marquisiens au cœur du processus »
« Au niveau de la Codim, notre rôle est de participer à la sensibilisation de la population afin de mettre les Marquisiens au cœur du processus de ce dossier. Cette communication avec la population est faite grâce à nos ambassadeurs et à la mise en valeur du plan de gestion. Nous allons travailler avec les différents acteurs de la société civile, avec les associations pour définir avec elles les actions mises en place. Notre mission est également de faire du lien entre les projets et les partenaires du dossier. »
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