Le marae Te Ava et ses fosses de « déchets » sacrés (Hiro’a n° 202 – Octobre 2024)
L’archéologue néo-zélandais, Mark Eddowes, accompagné d’une petite équipe, a mené pendant un mois, de la mi-août à la mi-septembre, une mission sur le marae Te Ava Ti ́ipoto à Huahine. Ces travaux, réalisés à la demande de la Direction de la culture et du patrimoine, ont permis de restaurer certaines parties de ce site sacré, dont notamment le ahu ainsi que deux fosses où étaient jetés des déchets sacrés.
Le marae classé Te Ava Ti’ipoto, situé en bord de lagon dans le village de Maeva, a fait l’objet d’une restauration partielle sur une durée d’un mois. Débutés le 19 août dernier, les travaux se sont achevés vers la mi-septembre. C’est Mark Eddowes, archéologue reconnu pour son expertise, qui s’est occupé de cette mission avec une équipe composée de deux jeunes archéologues de Papara et de trois personnes originaires du village de Maeva choisies par l’adjoint au maire de Maeva, Timi Tetaumarama. « Notre mission était de restaurer partiellement, en utilisant des techniques anciennes, certains éléments architecturaux qui se sont effondrés au fil du temps, comme les dalles de corail taillées du ahu, le pavage abîmé par les racines d’un grand banian, l’angle sud-est de la plateforme, partiellement effondré et haut de plus de 2 mètres, ainsi que deux grandes fosses situées sur le côté sud de la cour du marae », explique l’archéologue.
Des fosses spéciales pour des objets tapu
Loin d’être de simples trous creusés, ces deux fosses avaient un rôle bien défini. « Elles sont particulières car elles ont été construites pour y jeter des déchets sacrés. C’est intéressant car ce marae a déjà été étudié à deux reprises. Une première fois en 1929 par Kenneth Emory. Il l’a qualifié de marae tupuna ou de marae ancestral appartenant à l’une des principales lignées de Maeva. Emory avait dessiné un plan du marae indiquant la présence inhabituelle d’une fosse de déchets sacrés ou tiriāpera. Ces tiriāpera étaient utilisées dans les temps anciens pour y déposer des objets tapu en matières organiques périssables. Par exemple, des vêtements personnels en tapa, des outils en bois cassés utilisés par les chefs ou les prêtres, des ornements en plumes sacrées qui commençaient à se désintégrer et n’étaient plus utilisables, ou encore des ti’i ou des images ancestrales en bois cassés. Tout ce qui avait un caractère sacré devait être éliminé d’une manière particulière pour éviter que les anciens propriétaires ne soient victimes de sortilèges. Ces objets, qui avaient été touchés ou utilisés par des ari’i, ne devaient pas être profanés par des ennemis car ils pouvaient apporter la maladie ou la mort. Afin d’éviter cela, certains chefs disposaient donc de fosses spéciales, comme celle indiquée par Emory au marae Te Ava pour se débarrasser de ces objets sacrés. Or personne n’osait voler dans un marae sous peine d’être puni de mort par les dieux. Dans les années 1970, le professeur Sinoto, archéologue à Hawaii, a, lui, restauré le marae Te Ava. Sinoto avait identifié une seconde fosse, plus petite et plus proche du ahu. Ainsi, aujourd’hui, ce sont deux fosses de ce type qui sont présentes sur les terrains du marae Te Ava. Seuls ce marae et un autre à Maeva, le marae Haumaru à côté du fare pōte’e, possèdent de telles tiriāpera », précise l’archéologue.
Stabiliser le ahu
Outre le redressement de ces fosses, Mark Eddowes et son équipe se sont aussi attelés à restaurer une partie du ahu, notamment abîmé par un grand banian. « Au fil des siècles, les dalles de corail taillées du ahu ont été déplacées par la pression exercée par les racines du banian sacré qui poussait à l’extrémité nord de la plateforme et l’obscurcissait partiellement. Nous avons également restauré le pavage dans son aspect d’origine, ainsi que l’angle sud-est de la plateforme, partiellement effondré et haut de plus de 2 mètres. Nous avons aussi coupé avec soin certaines parties de l’arbre et certaines de ses racines pour mieux exposer la maçonnerie du ahu et protéger les dalles de corail contre d’autres dommages dus à la pression exercée par les racines depuis l’intérieur, forçant les dalles à s’avancer par rapport à leur position d’origine », précise l’archéologue.
Des fragments de crânes et de mâchoires humaines
Si tous ces travaux de restauration ont été effectués avec soin par l’équipe et favorisent une meilleure conservation du site, ils ont aussi permis à Mark Eddowes d’étudier et de découvrir des éléments passionnants. En effet, ont ainsi été trouvées dans le mur de soutènement oriental de la plateforme des offrandes votives de coraux placées symboliquement dans les fondations. « Ces offrandes ne faisaient pas partie d’un simple remplissage intérieur, qui était en grande partie composé de pierres de basalte. Nous avons également trouvé des fragments de crânes et de mâchoires humaines, ainsi que des morceaux de tibias et de fémurs à l’intérieur du ahu. Tous ces éléments ont été immédiatement remplacés et recouverts par une maçonnerie restaurée. »
Tourné vers le mont Tapu
Autre découverte intéressante : ce marae Te Ava a été bâti à l’extrémité d’une arête rocheuse unique qui descend de l’intérieur de l’île jusqu’au rivage de Ti’ipoto. Sa plateforme a été construite sur de grandes formations rocheuses escarpées, dont la forme n’a pas été choisie au hasard… « Ces roches sur lesquelles ont été bâti le marae ressemblent à la forme du mont sacré de l’île Huahine, le mont Tapu. De plus, le marae est également orienté vers ce mont (…), fécondé par le dieu Tane et réputé pour favoriser la fertilité, puisqu’il garde les nuages. Il fait pleuvoir sa semence depuis les nuages sur les pics de mou’a Tapu, fécondant par une copulation symbolique l’élément féminin de la terre en contrebas. Celle-ci est ainsi mise “enceinte” et donne “naissance” à des ignames, des fruits à pain, des patates douces, etc., qui sont ensuite récoltés collectivement et redistribués par les chefs pour nourrir leur peuple. Les eaux fécondantes du dieu Tane s’écoulent dans la lagune et perpétuent ainsi les espèces et les poissons de la lagune qui nourrissent également les populations grâce à l’intervention du divin dans le culte ancestral de leurs chefs. Le fait que le ahu soit construit sur ce fond rocheux et orienté vers le mont Tapu apporte donc une dimension symbolique au marae Te Ava », indique Mark Eddowes avec passion, qui n’hésite pas à qualifier ce site de magnifique. ◆
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Le marae Te Ava et ses fosses de « déchets » sacrés (Hiro’a n° 202 – Octobre 2024)