Monument aux morts de Papeete : iconographie et symbolique (Hiro’a n° 205 – Janvier 2025)
En 1922, la ville de Papeete, alors seule commune des Établissements français d’Océanie, décide d’ériger un monument aux morts en mémoire de ses fiers Poilus de la Grande Guerre. Le projet est partiellement financé par une souscription publique. L’œuvre, réalisée en France par un architecte renommé en la matière, Hippolyte Marius Galy, ne manque pas de symboles qui méritent notre attention.
Le monument aux morts polynésiens de la Première Guerre mondiale se compose d’un ensemble figuratif et idéaliste, de registre assez classique, dont l’allégorie et la symbolique ne peuvent que renvoyer à une lecture initiatique. Il a conservé son architecture originelle de l’année 1922 qui se composait d’un obélisque auquel s’adossait une jeune femme, ces deux ensembles étant posés sur un socle, placés sous la garde à leurs deux extrémités de deux casques de la Grande Guerre. Sa forme pyramidale est assez usuelle des monuments aux morts nationaux. Il s’est complété de trois stèles rappelant les soldats tahitiens tombés pendant la Seconde Guerre mondiale, les opérations extérieures et en Indochine, en Corée et à
Madagascar.
Image suprême de la patrie et de la victoire
Aujourd’hui, on accède à l’esplanade du monument par trois marches qui renforcent l’idée d’ascension et de verticalité vers le divin. L’obélisque, pierre élevée, matérialise également le lien avec le divin mais affirme aussi l’éternité. Une frise renvoie à la sphère céleste. L’obélisque se constitue d’un fût de forme triangulaire pour se terminer par un coq gaulois perché.
Le coq rappelle l’héritage des Gaulois et trouve toute sa place comme emblème de la France et de la République. Animal de combat, il représente le courage et la fierté. Sur un plan purement religieux, le coq annonce le lever du jour et la résurrection du Christ qui triomphe des ténèbres.
En revanche, une colombe exprimerait la paix universelle retrouvée.
L’allégorie de la jeune femme est coutumière des monuments aux morts, image suprême de la patrie et de la victoire. Margaux Teissier, une jeune fille de la colonie, épouse d’Henry Gentil, fonctionnaire et peintre ayant servi à Tahiti après la Première Guerre mondiale, aurait été le modèle d’Hippolyte Marius Galy, auteur de l’œuvre. La jeune femme, presque de grandeur nature, par la tension de son corps, bras élevé et jambe droite tendue, répond au chant du coq pour figurer la patrie combattante et renaissante et honorer le sacrifice de ses enfants. Sa posture couplée avec la hampe du drapeau laisse entrevoir une croix, comme celle portée par Jésus-Christ lors de sa crucifixion.
Sa couronne semble faite de lauriers. Mythifié par les Grecs, sacralisé par les Romains, le laurier incarne la victoire triomphante et les vertus militaires. Gardant ses feuilles vertes même en hiver, il est aussi symbole de l’immortalité. Mais la couronne pourrait être aussi une fougère de maire décorée de deux fleurs de tiare. Elles auraient vocation à rappeler l’engagement des enfants de l’ancienne Océanie française dans la Grande Guerre au secours de Māmā Farani, la mère patrie incarnée par la jeune femme arborant le drapeau tricolore incliné en signe de deuil. Une mère patrie évoquée par l’unité de ses composantes dont celles de l’Empire avec le « paréo » dont elle se recouvre. Mais ce voile peut avoir aussi valeur de
drap funéraire, à l’instar de celui de sainte Véronique sur lequel s’imprima le visage du Christ ensanglanté.
La jeune femme piétine pieds nus, humilité oblige, des feuilles d’acanthe, parée de voiles de deuil pour rappeler la douleur, des familles, de la Nation dans la perte d’un fils, d’un père, d’un frère.
Portrait d’un Poilu tahitien
Au-dessus de la jeune femme, un médaillon arbore le portrait d’un Poilu tahitien. Le soldat semble porter son regard vers le passé, le sang versé et le sacrifice de ses frères d’armes, ou bien l’avenir, et la paix retrouvée. Porteuse d’un bouquet de fleurs, la jeune femme qui incarne la patrie, perpétue leur souvenir comme dans toute manifestation funéraire. Ce bouquet semble se composer de taina, fleur emblématique de Tahiti, mêlée à des roses et des camélias stylisés pour symboliser l’unité citoyenne. Ce portrait figé du Poilu tahitien invite alors au recueillement.
Un rameau d’olivier orné d’une étoile surplombe le médaillon du soldat. L’olivier représente la gloire du soldat, tout comme dans l’Antiquité celle des empereurs romains. L’étoile rappelle la valeur guerrière dans le courage et l’honneur ainsi que celui du devoir accompli. Les étoiles accompagnent notamment la Croix de guerre, distinction militaire créée en 1915.
La feuille d’acanthe stylisée, support de l’obélisque, rappelle un ordre architectural dont l’art corinthien pour traduire en particulier la mort et le deuil.
La couronne mortuaire composée de fleurs séchées entrelacées de rubans traduit l’immortalité du soldat tombé au champ d’honneur. L’urne désigne les soldats tués pendant la guerre.
Un casque de Poilu est posé sur un ensemble végétal fait de « victorieuses » feuilles d’olivier. Leur socle est enserré de deux cordes en signe de fraternité d’armes. Le casque arbore l’écusson des grenadiers, contre ceux usuels de « RF » pour République française ou l’ancre de marine pour les Marsouins. Un bouclier sculpté dans la pierre renvoie à la protection.
La torchère figure, par sa flamme, la purification. La lumière éclairante qui traverse les ténèbres est alors le symbole de souvenir éternel. Dans le dos de l’obélisque, se retrouve l’étoile avec, à ses pieds à sa gauche, le laurier et la feuille de chêne de l’arbre sacré des Gaulois qui expriment la force, la vie, la longévité mais aussi les vertus civiques. Une inscription sur le monument rappelle la souscription publique pour sa réalisation.
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