Le pa’iatua, une cérémonie politique et spirituelle (Hiro’a n° 209 – Mai 2025)

Un nouveau livret rejoint aujourd’hui la collection « Te Hono’a U’i », initiée par la Direction de la culture et du patrimoine. Intitulée Pa’iatua, cette publication est consacrée à cette cérémonie sacrée, mise en lumière grâce aux travaux et études réalisés par Hinatea Pambrun. L’ethnologue nous en apprend davantage sur ce rituel, aujourd’hui très peu connu, qui était pourtant considéré comme l’un des plus importants en Polynésie autrefois.

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire sur la cérémonie du pa’iatua ?

« J’ai été sollicitée par le magazine culturel Hīro’a, qui cherchait à documenter la cérémonie du pa’iatua à l’occasion du spectacle présenté par le groupe O Tahiti E de Marguerite Lai. Ce spectacle, présenté sur le marae ‘Ārahurahu, visait à rendre hommage à cette cérémonie aujourd’hui disparue. L’initiative de la cheffe de groupe était profondément symbolique : il s’agissait de faire revivre, le temps d’une création artistique, un rituel oublié depuis l’évangélisation de la société polynésienne en 1797. Ce contexte m’a donné l’opportunité d’approfondir ce pan du patrimoine immatériel, trop peu connu du grand public. »

Pouvez-vous expliquer, en quelques mots simples, ce qu’est le pa’iatua ?

« Pour mieux comprendre ce qu’est le pa’iatua et en saisir le sens, il est utile de commencer par une brève analyse étymologique du terme. Le mot pa’i signifie “envelopper soigneusement quelque chose”, tandis que atua se traduit par “dieu”. Ainsi, le terme pa’i-atua ou pa’iatua peut être interprété comme “le fait d’envelopper ou d’habiller les dieux avec soin”. Cette définition suggère d’emblée le caractère rituel et sacré de l’action, en lien direct avec les représentations divines, les to’o. »

Quelle était l’importance de cette cérémonie dans la société polynésienne traditionnelle ?

« Le pa’iatua faisait partie des plus grandes cérémonies religieuses de l’époque pré-européenne. Il s’agissait d’un événement majeur consacré au renouvellement du mana divin, symbolisé par le déshabillage puis le ré-enveloppement des to’o, ces effigies sacrées représentant les divinités. Mais au-delà de sa portée spirituelle, cette cérémonie revêtait également une dimension politique forte : elle offrait au ari’i, l’occasion de manifester publiquement son autorité et de réaffirmer sa légitimité devant son peuple. Ainsi, à travers ce rituel, pouvoir religieux et pouvoir politique étaient étroitement liés. »

Pourquoi cette cérémonie se déroulait-elle uniquement sur les marae nationaux ?

« Ces marae étaient perçus comme les plus prestigieux sur le plan politique, et par conséquent, comme les plus sacrés.

C’est en ces lieux que résidaient les divinités majeures et que se prenaient les décisions religieuses et politiques les plus importantes d’un district. Le pa ́iatua, en tant que cérémonie de grande envergure, ne pouvait ainsi se dérouler que dans un espace doté d’une autorité spirituelle et politique suprême. »

Pouvez-vous nous parler de la symbolique du « déshabillage » et du « ré-enveloppement » des dieux ?

« Au cœur de la cérémonie du pa’iatua, deux gestes essentiels étaient accomplis : le déshabillage et le ré-enveloppement des to’o. Le déshabillage marquait la fin d’un cycle d’adoration : en retirant les ornements, on retirait aussi une partie du mana temporairement, mettant ainsi les divinités “au repos”. C’était une manière d’acter une transition spirituelle, de clore une phase d’adoration, et de purifier les effigies pour qu’un nouveau cycle puisse s’ouvrir. Le ré-enveloppement, quant à lui, permettait de redonner tout son mana au to’o en renouvelant ses parures. Ce geste symbolisait le début d’un nouveau cycle, d’une nouvelle phase d’adoration. »

Comment les to’o étaient-ils perçus par la population ?

« Les to’o étaient bien plus que des objets ; ils incarnaient réellement la présence de la divinité qu’ils représentaient. Leur traitement rituel était donc extrêmement codifié et respecté, car il impliquait directement les forces surnaturelles. »

Quelle est, selon vous, la portée spirituelle de cette cérémonie aujourd’hui ?

« Bien que la cérémonie du pa’iatua ne soit plus pratiquée depuis l’évangélisation de 1797, elle conserve aujourd’hui une forte portée spirituelle. Elle symbolise le renouvellement, la transmission, et le lien entre le visible et l’invisible. Ce rituel nous rappelle l’importance de l’équilibre entre l’homme, la nature et le sacré, et peut inspirer une réflexion contemporaine sur l’ancrage culturel, la cohésion communautaire, et la capacité à se régénérer spirituellement. »

Sur quelles sources ou références vous êtes-vous appuyée pour rédiger cet article ?

« Je me suis principalement appuyée sur les écrits de Teuira Henry, issus des collectes réalisées par son grand-père, le pasteur Orsmond, ainsi que sur l’ouvrage La dépouille des dieux de Babadzan. D’autres articles publiés m’ont également aidée dans la rédaction de cet article. À ma connaissance, il n’existe pas de recueil oral détaillé spécifiquement consacré à la cérémonie du pa’iatua, ce qui rend son étude d’autant plus complexe. La plupart des personnes interrogées, lorsqu’elles en ont entendu parler, ne disposent que de fragments ou de bribes d’informations. C’est une cérémonie qui a presque sombré dans l’oubli, et il semble aujourd’hui difficile, voire impossible, de retrouver quelqu’un capable d’en décrire avec précision le déroulement du début à la fin. »

Avez-vous rencontré des difficultés pour documenter cette cérémonie ?

« Oui car les sources écrites sont parfois fragmentaires ou biaisées, et la transmission orale, bien que précieuse, est parfois difficile d’accès. Il a fallu recouper les informations avec prudence et respect. »

Les témoignages ou traditions orales ont-ils joué un rôle dans votre travail ?

« Dans le cadre de cet article, je n’ai pas eu l’opportunité de consulter directement des personnes ressources, en raison du temps restreint mais aussi du caractère très effacé de cette cérémonie dans la mémoire collective. Aujourd’hui, rares sont les personnes ayant entendu parler du pa’iatua, et celles qui en ont connaissance n’en gardent généralement que des bribes ou des souvenirs fragmentaires.

En revanche, l’ouvrage de Teuira Henry, qui a constitué l’une de mes principales sources, repose en grande partie sur les collectes effectuées par son grand-père, le pasteur Orsmond, auprès des anciens. Ce travail reste donc indirectement nourri par la tradition orale. Néanmoins, il est important de garder un esprit critique sur ces sources. Les écrits des missionnaires ont souvent été produits dans une perspective d’évangélisation, avec pour objectif d’éradiquer les anciennes croyances jugées “païennes”. On peut donc légitimement s’interroger sur la fidélité de ces récits à la pensée ancestrale mā’ohi. Ont-ils été altérés, interprétés ou même partiellement censurés pour correspondre à la vision occidentale et chrétienne dominante de l’époque ? C’est une question fondamentale à garder en tête lorsqu’on travaille sur ce type de sources. » ◆

PRATIQUE
Distribués dans les écoles, les livrets de cette collection sont disponibles gratuitement sur le site de la DCP (www.service-public.pf/dcp).