Des ivi tupuna de retour à Makatea (Hiro’a n° 210 – Juin 2025)

RENCONTRE AVEC ANATAUARII TAMARII, CHEF DE LA CELLULE DU PATRIMOINE CULTUREL DE LA DIRECTION DE LA CULTURE ET DU PATRIMOINE. TEXTE : LUCIE CECCARELLI – PHOTOS : DCP

Cela faisait près de soixante-dix ans que ces ossements ancestraux polynésiens étaient conservés dans les réserves du Smithsonian Museum de Washington… Fin avril, une délégation de la Direction de la culture et du patrimoine (DCP) s’est rendue à Makatea afin d’y réinhumer des ivi tupuna qui en avaient été prélevés en 1957. Pour l’occasion, une cérémonie solennelle a été organisée, réunissant une grande partie de la population de l’île désireuse d’accompagner ses ancêtres dans leur dernière demeure. Anatauarii Tamarii, chef de la Cellule du patrimoine culturel de la DCP, nous livre le récit de cette mission hautement symbolique.

Fin avril, une délégation de la Direction de la culture et du patrimoine (DCP) est allée à Makatea, dans les Tuamotu, afin de ramener sur leur terre d’origine des
ossements prélevés il y a soixante-huit ans. Ces restes ancestraux avaient été collectés en 1957 lors de la Smithsonian-Bredin Expedition, financée par la Fondation Bredin et dirigée par le Dr Waldo Schmitt. « On était alors en pleine expansion de l’activité minière de l’île. Makatea était un port franc qui accueillait de nombreuses personnes. On ignore pourquoi cette expédition scientifique s’y est rendue à ce moment-là, mais on sait qu’à l’époque ils avaient pour habitude de prélever çà et là des restes humains, notamment afin de mener des comparaisons morphologiques entre les différentes populations de la planète », explique Anatauarii Tamarii, chef de la Cellule du patrimoine culturel de la DCP.

Sans indication précise de leur lieu de prélèvement, ces ossements ont ensuite été transférés au Smithsonian Museum de Washington D.C., aux États-Unis, dans les réserves duquel ils ont été conservés jusqu’à aujourd’hui, a priori sans être étudiés. Jusqu’à ce que, fin 2023, la DCP soit informée de la parution d’un article du Washington Post mentionnant la présence d’ossements humains polynésiens dans les réserves du musée. La DCP et la ministre de la Culture de l’époque, la vice-présidente Éliane Tevahitua, ont alors demandé que ces ivi tupuna soient rapatriés sur leur terre d’origine. C’est pourquoi, en novembre dernier, une délégation a fait le déplacement à Washington afin de récupérer ces restes appartenant à une quinzaine d’individus de tous âges, non identifiés. L’étude de provenance révèlera qu’au moins trois d’entre eux proviennent de Makatea. Les autres sont originaires de Paea.

« Devoir de mémoire »

« On est alors entré en contact avec le maire de l’île, Julien Mai. Du 22 au 25 avril, une délégation de trois agents de la DCP s’est rendue à Makatea afin de procéder à une restitution solennelle des tupuna à la population locale pour qu’elle puisse, d’une certaine manière, faire le deuil de ces personnes qui ont été enlevées à leur terre. »

Le 23 avril, une réunion publique a été organisée à la mairie de Makatea, en présence d’une vingtaine d’habitants. Une description bioanthropologique des restes a été présentée à la population, qui a demandé à ce que la caisse contenant les ossements soit ouverte publiquement. La cérémonie de réinhumation a ensuite été organisée dans la plaine côtière de Moumu, à proximité immédiate du site mémoriel To mori Tupuna (« La lumière des ancêtres ») où avaient déjà été réinhumés d’autres ivi tupuna en 2002, provenant, quant à eux, du Bishop Museum de Honolulu, à Hawaii.

« Les nouveaux ossements ont été réinhumés dans une fosse creusée par les habitants de Makatea. Les élus et les communautés religieuses de l’île, ainsi qu’une bonne partie de la population, étaient présents à la cérémonie. On a senti qu’ils étaient véritablement touchés par le fait que leurs ancêtres reviennent enfin sur leur terre, même si l’on n’est pas en mesure d’identifier exactement la famille à laquelle ils appartiennent. On a le sentiment d’avoir fait notre travail jusqu’au bout. La suite, maintenant, c’est de restituer les ossements de Paea. On est en contact avec la commune pour cela. »

Un projet de valorisation patrimoniale

Au cours de ce déplacement à Makatea, une réunion publique a également été menée le 24 avril par Évelyne Heyer, anthropologue du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) à Paris, qui accompagnait la délégation de la DCP. Cette rencontre s’inscrivait dans le cadre d’un projet d’analyses génétiques sur des restes humains conservés au MNHN, visant à enrichir les connaissances sur les origines, migrations et profils de santé des ancêtres polynésiens.

La mission de la DCP à Makatea a également été l’occasion de renforcer les liens entre l’administration culturelle et les communautés locales autour des enjeux patrimoniaux de l’île. Plusieurs entretiens ont été menés avec le maire, Julien Mai, afin de collecter des récits, légendes et éléments historiques destinés à enrichir les fonds de la DCP. « On voulait aller plus loin que la restitution des ossements, en mettant aussi en valeur le patrimoine historique, archéologique et industriel de Makatea. C’est ce vers quoi on s’oriente aujourd’hui. »

Deux projets sont actuellement envisagés : l’élaboration d’un livret sur l’histoire moderne de Makatea, en lien avec les livrets thématiques déjà publiés par la DCP, et la création d’une Route du patrimoine valorisant les vestiges miniers datant de la période industrielle de l’île, durant laquelle le phosphate était exploité de 1917 à 1966.