Documenter la pratique du ahimā’a pour la transmettre à nos enfants (Hiro’a n° 210 – Juin 2025)

Edmée Hopuu, agent de la Cellule des langues polynésiennes de la Direction de la culture et du patrimoine (DCP), a assisté au Festival des Australes qui s’est tenu du 2 au 7 avril à Rimatara. Une mission qui avait pour but de recueillir les savoirs et spécificités de chaque île des Australes sur la pratique du ahimā΄a, ce four traditionnel. Derrière ce travail de collecte, c’est une réelle volonté de transmission à la jeune génération qui se profile afin de garder vivant ces gestes ancestraux.

Quel était l’objectif de votre mission à Rimatara ?

« Cette mission initiée par la Direction de la culture et du patrimoine (DCP) avait pour objectif de recueillir le savoir traditionnel sur les mets culinaires des cinq îles des Australes. J’y suis allée accompagnée de Mere Teriitehau-Tokoragi, également agent au sein de la Cellule des langues polynésiennes de la DCP. Nous voulions profiter de ce festival pour créer les premiers contacts avec des personnes ressources, et notamment les chefs de ahimā΄a. Le projet est de recueillir ces savoirs afin de les préserver, pour ne pas qu’ils disparaissent. Heureusement que nous avons entamé ce projet parce que, des premiers entretiens que j’ai pu avoir, et notamment avec le référent et chef du ahimā΄a de Rurutu, Anua Maui, il ressort que les jeunes ne s’investissent pas. Il a remarqué que les jeunes de son île commencent à se démettre de tous ces savoirs. Il faut dire aussi qu’ils vont poursuivre leurs études sur Tahiti, et donc il y a une rupture dans la transmission. Il craint que, dans les années à venir, ils ne vont plus faire du ahimā΄a, mais cuire les aliments dans un four comme nous à Tahiti. »

Avez-vous rencontré des difficultés sur place ?

« On s’y attendait, mais on n’a pu recueillir que peu de savoirs parce que les délégations des cinq îles étaient déjà bien occupées avec le festival en lui-même. À qui le plus beau costume, le plus beau chapeau, le plus beau ahimā΄a, les plus beaux chants, les plus belles danses. Ce qui était fabuleux, c’est que les tāvana des cinq îles étaient les chefs de leur délégation. Et ils les ont suivies du début à la fin. Chaque jour, il y avait une thématique différente – l’eau, la terre, l’air, le feu et l’homme – et chaque délégation mettait en valeur ses savoirs. J’ai essentiellement pu recueillir l’information auprès des tāvana. »

Dressez-vous quand même un bilan positif de cette mission ?

« Oui, ce travail de recueil des savoirs traditionnels liés aux mets culinaires des Australes, avec les spécificités de chaque île, n’a jamais été fait. Dans nos fonds, nous n’avons pas d’enregistrements sur le sujet. En fait, on n’a pas grand-chose sur les Australes en général. On a travaillé sur de gros dossiers comme les Marquises, ou encore Taputapuātea, et on avait un peu délaissé les Australes. Là, nous sommes allés avec un prestataire, le photographe Danee Hazama, qui a pris tout l’événement en photo afin d’alimenter nos fonds. »

Quelle est la suite de ce projet lié aux Australes ?

« On nous a proposé de retourner sur place. Aller voir comment ils préparent un ahimā΄a, du début à la fin. C’est-à-dire voir également les préparatifs en amont : couper des régimes de fē΄ī, chercher le taro, pêcher le poisson, etc., jusqu’au ahimā΄a à partager avec la communauté. Vraiment faire un travail de fond autour
du ahimā΄a. Tāvana Riveta de Rurutu, intéressé par un éventuel recueil sur son île, voulait nous accueillir dès le mois de mai, mais le délai était trop court pour enclencher une nouvelle mission. Nous pensons plutôt y retourner l’année prochaine. Nous souhaitons profiter d’un grand événement chez eux, pendant
lequel ils prépareraient un ahimā΄a, pour nous y rendre. On ne veut pas qu’ils en organisent un spécialement pour nous. »

Pourquoi avoir choisi le sujet du ahimā΄a en particulier pour développer votre fonds sur les Australes ?

« Le ahimā΄a, c’est un four traditionnel qui tend à se perdre. À Tahiti, il n’y a plus beaucoup de familles qui le font aujourd’hui, même à la presqu’île. Et ceux qui le font encore, ne le font qu’une fois par mois ou quand il y a un événement comme un mariage. C’est du travail, cela demande du temps et aussi d’avoir son fa΄a΄apu. »

Quelle est la finalité de ce projet ?

« C’est de préserver, de sauvegarder et surtout de transmettre à la nouvelle génération par la production de supports, comme les livrets que nous avons déjà publiés sur le surf, matari΄i, les légendes des Marquises, de Maupiti, etc. »

En tant qu’agent de la DCP, comment articulez-vous travail de terrain, de recherche et de valorisation ?

« Avant d’aller sur le terrain, je procède d’abord à des recherches dans les publications existantes comme celles de Teuira Henry, Babadzan, Ellis… Je compile les travaux publiés par ces auteurs, puis je vais collecter des informations sur le terrain pour enrichir, nourrir notre fonds, et enfin, produire des petits fascicules. »

Quel est, selon vous, le plus grand défi aujourd’hui pour préserver les savoirs traditionnels ?

« La transmission. Je pense même que le terme qu’il faut employer aujourd’hui, c’est transmettre, transmettre, transmettre. C’est la transmission de tous nos savoirs auprès de la nouvelle génération, sinon on va tout perdre. »

Avez-vous réfléchi à comment s’attaquer à ce problème ?

« Oui, nous y avons réfléchi. Cela commence dans les écoles. J’ai représenté la DCP à une réunion dans le cadre de la Charte de l’Éducation. Il y avait également
des parents d’élèves et eux-mêmes disent qu’il est urgent de transmettre tous nos savoirs à nos enfants. Et c’est aussi urgent pour nous de mettre en place des pratiques, qui visent, par exemple le mercredi après-midi, à amener nos enfants chez les agriculteurs et leur apprendre. C’est un travail en collaboration avec les agriculteurs ou avec les pêcheurs. Les enseignants des MFR et CJA le disent aussi, il faut de la pratique. Il faut que nos enfants aient ce contact avec le monde du travail, qu’ils soient sensibilisés très tôt. Le défi aujourd’hui, c’est de travailler ensemble. »

C’est une priorité aujourd’hui ?

« Oui, il faut donner à nos enfants un avenir meilleur et surtout qu’ils soient acteurs de leurs projets, qu’ils donnent un sens à leurs projets. Il faut que nos enfants soient acteurs de leur avenir. »