« Il est temps que nos enfants sachent l’histoire »

La Direction de la culture et du patrimoine vient d’éditer légendes de Tautira, écrites par Daniel ‘A Pifao, le descendant d’un orateur de la presqu’île. Longtemps gardées secrètes, il souhaite aujourd’hui les partager pour que les jeunes générations s’approprient les histoires de leur île.

Pouvez-vous vous présenter ?

« Je suis le petit-fils de Hitore ‘A Pifao, l’auteur des écrits sur lesquels je m’appuie. Je suis à la retraite et je compte en profiter
pour lire et relire ces écrits anciens. Auparavant ces légendes étaient “interdites“ mais moi je pense qu’il est temps que nos enfants sachent l’histoire. Dans ma vie active, j’étais chef de bar puis maitre d’hôtel. J’ai travaillé dans l’hôtellerie durant toute ma carrière. J’ai rencontré beaucoup de monde, c’était super. Cela fait treize ans maintenant que je suis à la retraite. »

Vous êtes né à Tautira en septembre 1959, que représente cette commune pour vous ?

« Je suis fier de représenter ma commune. Elle est très réputée pour les courses de pirogues, d’où vient son nom. Les piroguiers de Maire Nui ont raflé toutes les victoires du Tiurai pendant trente ans. Au niveau de la chasse sous-marine, il y a des champions aussi ! C’est un très beau village. On dit que la tête du poisson (Tahiti est considérée comme un poisson selon certaines légendes, ndlr) est constituée par la presqu’île. Beaucoup de légendes partent de Tautira pour se propager ensuite. La commune est très connue, notamment au niveau de l’accueil. Des personnes connues ont visité Tautira, en particulier l’écrivain Robert Louis Stevenson qui était tellement reconnaissant de l’accueil chaleureux de la population qu’il a offert un service de Sainte Cène tout en argent au temple protestant du village, où il est toujours conservé. De grands chefs politiques sont également passés à Tautira. »

D’où viennent les légendes écrites dans ce livre ?

« Elles viennent de mon grand-père qui était orateur. Il descend de ‘O te Tutena ‘A Pifao, grand juge de Taiarapu. Mon grand-père avait la parole éloquente et il racontait toutes ces légendes. En fin d’après-midi, il nous appelait, nous faisions une petite prière et il nous racontait. C’était de très bons moments. Mon grand- père était quelqu’un de strict et sévère qui avait un cœur très généreux. En ce temps-là, on donnait tout : bananes, taro. Il élevait des porcs, des poules. Le samedi, on suspendait les régimes de bananes, et on installait la nourriture dans une petite cabane et tout le monde venait se servir. »

Vous avez expliqué dans l’édito de l’ouvrage que vous avez demandé l’autorisation à votre père d’écrire ces légendes

« Mon grand-père avait peur que tous ces écrits partent avec un étranger. Et d’ailleurs, quand il écrivait, ses textes n’avaient ni queue ni tête pour que les gens ne puissent pas s’accaparer ces légendes. J’ai donc demandé à mon père qui m’a donné la permission d’écrire ces légendes, car il est temps que nos enfants apprennent les légendes du village. Il y en a beaucoup ! Nous avons une très belle vallée avec une grande rivière, chargée d’histoires. »

Pourquoi est-ce important de les faire connaitre ?

« Il n’y a plus personne pour transmettre tous ces écrits. Tous ces anciens livres écrits par mon grand-père sont passés de mains en mains dans la famille. Ce sont les puta tūpuna qui ont été transmis dans la famille. On y trouve l’histoire du village, de Tahiti… Il avait une très belle écriture. »

Quelles sont les particularités des légendes polynésiennes ?

« Les noms de lieux, les généalogies ont beaucoup d’importance. Certains noms changent avec les événements… Dans certaines légendes, il y a des leçons à retenir. Certaines finissent bien, d’autres mal. Il y a même des histoires horribles ! Et toutes les légendes sont reliées à la nature. »

Qu’est-ce qu’elles apportent au peuple polynésien ?

« Elles ont beaucoup de valeurs pour le peuple polynésien. On apprend d’où viennent les choses, d’où viennent les noms, où il est possible de pêcher tel poisson, trouver telle pierre. Ça permet de mieux connaitre son environnement. Dernièrement l’Aranui est venu et est entré par la passe sacrée de mon village. Elle est gardée par des pieuvres et par un gros napoléon. Les légendes apportent du merveilleux et elles font rêver. »

L’écriture de ce livre vous a-t-elle demandé beaucoup de travail ?

« Oui, je ne peux pas raconter quelque chose sans savoir de quoi je parle. J’ai écrit en tahitien et nous avons traduit les textes en français avec mon fils, puis la Direction de la culture et du patrimoine a vérifié. »

Que souhaitez-vous aux futures générations ?

« Je leur souhaite d’aimer leur langue, leur terre, la mer… Les légendes peuvent aider à se relier à son histoire, à sa langue, à sa terre. Dans chaque région ou pays, il y a des légendes. C’est important que les enfants les connaissent. Mais aussi comment était la vie à l’époque. À mon époque, mon grand-père disait : “Si on ne sait pas cuire un ‘uru, on ne peut pas vivre.“ Je suis en train d’écrire un mémoire en m’appuyant sur les puta tūpuna. À la saison des fruits des pandanus, mon grand-père mettait des feuilles de bananiers secs, des fruits de pandanus rouges ou jaunes puis des bananes vertes et il empilait ainsi ces fruits pour faire mûrir les bananes. Ces bananes ! Mais alors ! J’ai envie de raconter toutes ces choses dans mes mémoires pour laisser une trace. »