Inciter les Polynésiens à être des ambassadeurs de leur patrimoine – (Hiro’a n°198 – Juin 2024)

Restitution d’ossements humains, d’un patu en os de baleine, dossier de candidature des Marquises à l’Unesco ou encore mise en valeur du monument aux morts de Papeete et élaboration d’une application de la carte archéologique de la Polynésie française, le responsable de la cellule «Patrimoine culturel» à la Direction de la Culture et du Patrimoine, Anatauarii Tamarii revient sur les nombreux dossiers dont il a la charge.

Quelle est la raison de votre déplacement début juin au Festpac Hawai’i 2024 ?

« Nous sommes mandatés par la vice- présidence pour participer à plusieurs réunions bilatérales entre la Polynésie française et divers organismes culturels de Hawai’i. En 2021, j’avais rencontré lors d’un colloque archéologique à l’UPF, Pūlama Lima, conservatrice en archéologie au Bishop Museum et nous avions discuté de la possibilité de rapatrier des ossements humains prélevés dans les années 1920 en Polynésie française et stockés depuis dans les réserves du Bishop. Nous avions ensuite établi un partenariat informel avec le Bishop pour la restitution d’une partie de ces ossements humains à la Polynésie. Une cérémonie de restitution sera menée lors de notre séjour. À cette occasion, nous allons également formaliser un protocole sur la restitution d’autres ossements dans une seconde phase. »

En quoi consiste cette seconde phase ?

« Si le Bishop a inventorié une partie de ces ossements, une autre partie ne l’a pas été, faute de moyens financiers. La DCP s’est engagée à financer les études de cet inventaire : elles seront réalisées à Hawai’i

par le même prestataire qui a procédé à la première phase. Cet inventaire permettra de rapatrier l’ensemble de la collection des ossements dans les îles d’origine de ces personnes fin 2024 ou début 2025, selon le nombre. Cette restitution par Hawai’i s’inscrit dans une politique plus vaste menée par la vice-présidente qui vise à faire rapatrier l’ensemble des restes humains d’origine polynésienne, stockés à l’étranger. »

Le monument aux morts de Papeete vient de faire l’objet de travaux de restauration…

« Effectivement, il était vétuste, il fallait vraiment le restaurer. On s’est occupé du monument en tant que tel, la pierre s’effritait, le bronze était devenu verdâtre… Cette partie des travaux s’est achevée début mai pour être prêt le 8-Mai. Mais au-delà de la restauration même, on a souhaité mener aussi une réflexion sur la valorisation de ce monument classé. »

Sur quoi porte cette réflexion ?

« L’idée est de redonner à ce monument, qui sert de vitrine aux cérémonies officielles, un nouvel éclat. C’est un site fort symboliquement, car il rend mémoire aux Polynésiens qui ont sacrifié leur vie au combat. Il a aussi une histoire intéressante, a subi plusieurs déplacements, tous ses symboles sur sa structure ont un sens. Malheureusement, le monument n’est pas humanisé, il n’y a pas d’ombre, pas d’accès PMR… Il est peu visité. On réfléchit à aménager les alentours pour que les gens et les touristes aient envie de s’y arrêter et de s’y attarder. »

D’autres projets sont-ils également prévus ?

« Pendant ce travail de restauration, on s’est aperçu que certains noms de soldats tués n’étaient pas inscrits sur le monument. On travaille avec des historiens comme Jean-Christophe Shigetomi, Véronique de Mortillet et l’Onac (Office nationale des anciens combattants et victimes de guerre) pour retrouver les noms de ces personnes. Enfin, on travaille avec Jean- Christophe Shigetomi pour vulgariser, au sens noble du terme, l’histoire. Les visiteurs pourraient scanner un QR code et visionner des petites vidéos retraçant les faits marquants de l’histoire, des Poilus tahitiens de 14-18 aux opérations extérieures. »

Comment s’est déroulée votre mission aux Marquises en mai dans le cadre du classement de l’archipel à l’Unesco ?

« Suite au report du projet de délibération porté par l’Assemblée sur son soutien à la candidature des Marquises à l’Unesco, la vice-présidente a mené une délégation aux îles Marquises du 7 au 13 mai pour aller à la rencontre des populations, les rassurer et leur expliquer les enjeux de cette candidature. Elle a insisté sur l’aspect apolitique de sa venue, sur le fait que c’était un projet d’archipel. Nous sommes allés dans les six îles habitées, nous avons rencontré environ 200 personnes, cela a rassuré la population. »

Quand la candidature des Marquises doit-elle être décidée par l’organisation onusienne ?

« La candidature doit être étudiée à New Delhi lors de la 46e session du comité du patrimoine mondial qui se tiendra du 21 au 31 juillet, nous ne connaissons pas encore le jour exact. Trois options sont possibles pour cette candidature qui est un bien mixte en série. La première, la candidature est refusée et c’est définitif, le dossier ne pourra alors plus être présenté. La seconde, l’Unesco demande un report pour compléter le dossier. La troisième, la candidature est acceptée et les Marquises sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. »

La Nouvelle-Zélande vient de restituer un patu, quel est la valeur de cet objet ?

« Ce patu vient d’être restitué par la Nouvelle-Zélande après plusieurs années. Il avait été découvert à Huahine en 2007 lors des fouilles menées par Atholl Anderson et Éric Conte. Il avait été exporté la même année à Auckland pour être expertisé et analysé, mais il n’avait pas été restitué. La DCP s’est saisie du dossier pour demander son retour. Ce patu est rare, c’est le seul en os de baleine de nous ayons. Les autres que nous connaissons sont en pierre. Le patu était une arme pour des combats rapprochés. Dans le cas de celui-ci, on pense qu’il était utilisé comme une arme de prestige pour les cérémonies et non pour combattre. Il sera intégré dans l’inventaire des collections de Te Fare Iamanaha – Musée de Tahiti et des îles. »

À quoi servira l’application Rumia dont la sortie est prévue fin 2024 ?

« Rumia est la déclinaison sur une application de la carte archéologique de la Polynésie française. Cette application est destinée à l’ensemble de la population polynésienne afin que chacun puisse être acteur de la préservation de la sauvegarde de leur patrimoine. L’idée, c’est d’inciter les Polynésiens à être des ambassadeurs de leur patrimoine. En téléchargeant gratuitement cette future application, ils auront l’opportunité d’enregistrer les sites qu’ils connaissent sur une base de données, gérée par la DCP notamment. Ainsi, les sites seront spatialisés et répertoriés. Cela permettra de mieux les protéger et de les transmettre aux futures générations. »

Après d’autres marae, c’est au tour de Taputapuātea d’avoir fait l’objet d’une modélisation.

« Taputapuātea a en effet été modélisé, mais cette fois-ci, on souhaite aller encore plus loin, on va essayer d’aller sur la conceptualisation d’une réalité augmentée avec l’ajout d’ambiance, de personnages, des pirogues doubles… On souhaite donner un cachet un peu mystique au lieu, tout en gardant le fait que ce n’est que de la réalité augmentée – c’est-à- dire une proposition et non forcément la vérité telle qu’elle était. On se basera sur des documents anciens, que l’on fera valider par un comité scientifique avec des archéologues. C’est un projet que nous aimerions mener. » ◆