Mot du Président de la Polynésie française
Edouard Fritch
Il me revient l’insigne honneur de présenter le premier bien de Polynésie française proposé pour la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, celui du Paysage Culturel Taputapuātea, témoin de notre civilisation et de notre culture polynésienne.
Nous désirons ardemment transmettre aux générations à venir du peuple polynésien ainsi qu’à tous les citoyens du monde, les valeurs portées par notre patrimoine, au moyen de la reconnaissance de son caractère unique et universel par l’UNESCO.
J’ai l’intime conviction que cet espace sacré polynésien, reconnu comme tel par la communauté océanienne, demeure ancré dans la mémoire collective des habitants de nos îles, et s’inscrit bien au-delà du monde paci que polynésien.
Peuple de tradition orale, l’expérience n’a pas été facilitée… mais nous sommes en mesure à présent d’offrir le résultat de nombreuses investigations menées auprès des derniers détenteurs de savoirs, pour les confronter aux écrits parvenus jusqu’à nous et datant des premiers contacts avec les navigateurs venus d’ailleurs.
Cette candidature s’attache à démontrer la valeur universelle exceptionnelle du paysage sacré de Taputapuātea, site majeur reconnu à l’échelle du Paci que. Il est le site par excellence qui illustre les croyances et les valeurs polynésiennes, par l’importance et l’authenticité des traces matérielles et immatérielles laissées par les communautés qui s’y sont installées.
Cette reconnaissance mondiale à laquelle nous aspirons, rendra visible le site de Taputapuātea et son message au-delà même du monde polynésien et océanien. Nous faisons partie du peuple du plus grand océan du globe, et celui-ci a brillé par sa connaissance et sa maîtrise remarquables de son environnement. Ses multiples migrations à bord de grandes pirogues doubles sont de mieux en mieux connues et suscitent le respect.
Si aujourd’hui, malheureusement, de nombreuses pièces majeures, symboles des pouvoirs politiques et spirituels de nos ancêtres sont dispersées dans le monde au sein de collections de musées ou privées, il reste tout de même sur notre sol, le témoignage d’une partie des richesses de cette civilisation. L’aboutissement par la reconnaissance de la communauté mondiale représentée par l’UNESCO que nous appelons de nos vœux, con rmerait que la culture polynésienne et ce peuple de la pirogue ont su entrer dans le nouveau millénaire avec leurs atouts, leurs faiblesses et aussi leurs espoirs, alors même qu’un nouveau dé se lève, menaçant, face à nous, celui des changements climatiques.
Mot du Ministre de la culture de la Polynésie française
M. Heremoana Maamaatuaiahutapu
Bien culturel et naturel d’exception, Taputapuātea est auréolé depuis des temps immémoriaux, du mana de nos ancêtres, nos tūpuna, héritiers du peuple du Grand Océan, capables de naviguer sur des milliers de milles nautiques. Carrefour religieux, intellectuel, culturel et politique également, il continue de nous inspirer.
Identifié très précisément sur les 2 125 hectares composés de surfaces terrestre et maritime limitrophes hors zone tampon, il est le cœur de la spiritualité polynésienne qui sert l’âme mā’ohi comme en témoigne la présence de centaines de structures archéologiques, localisées tant sur son littoral qu’au cœur des vallées qui l’englobent.
Cet héritage demeure l’un de nos atouts les plus précieux, puisqu’il incarne entre autres valeurs, celles de la Paix, la Bonté et l’Unité, symbolisées par la pieuvre mythique Te Fe’e – Nui ; et celles de l’union, la confiance, la tolérance, la convivialité, l’esprit d’aventure et le risque librement accepté, face à l’adversité des éléments naturels.
La « Jeunesse polynésienne », celle composée des enfants scolarisés, issus des écoles qui jouxtent ce site et qui ont une démarche permanente de communion avec lui, et celle sortie du système scolaire qui, finalement ne font qu’une, chante merveilleusement bien son histoire. Elle la déclame et la danse aussi parfaitement.
Le collège CETAD de Fa’aroa a ouvert en 2015 la section patrimoine Océania, et cette création est le fruit de longues démarches entreprises parallèlement pour obtenir l’inscription sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO de Taputapuātea. C’est un bon présage pour l’avenir.
La quête identitaire du peuple mā’ohi se traduit par le besoin de comprendre d’où il vient pour affirmer qui il est, et prédire où il va.
Notre code du patrimoine vient de naître avec l’accord unanime des représentants de l’Assemblée de Polynésie française, lesquels ont adopté son 1er Livre, dédié à la protection des monuments historiques, sites et espaces protégés. Ce livre sera complété par des dispositions de procédure pénale permétant aux agents publics de rechercher et constater les infractions à cette réglementation. Il en sera de même ensuite pour les textes ayant trait à la protection et la valorisation du patrimoine culturel immatériel.
Conscient que l’inscription sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO n’est pas une finalité, mais le début d’un autre projet pour Taputapuātea, je veux vous dire combien nous sommes ers d’être Polynésiens et de posséder ce patrimoine issu de cette civilisation maritime.
Je veux en n témoigner toute ma reconnaissance envers les passeurs de mémoire, nos metua, nos sages, qui, détenteurs des données essentielles, héritiers de nos traditions orales, ont accepté de les délivrer à toute la communauté.
Paripari Ōpōa-Taputapuātea
déclamé par M. Kaina Tavaeari’i, dit » Pāpā Maraehau » :
Paripari Ōpōa-Taputapuātea
déclamé par M. Kaina Tavaeari’i, dit » Pāpā Maraehau » :
« MOU’A tei ni’a, TE-A’E-TAPU Te a’e-tapu (‘e ‘o) Urufa’atiu Tū’ati nā tara e piti
Raro raro noa iho
Te MARAE VAEĀRA’I
E papa ‘ei vauvaura’a Nō nā ta’o e va’u
TAHUA tei raro MATA-TI’I-TE-TAHUA-ROA
E PAPE tō ‘u e vai nei VAI-TARA-TŌA, VAI-TĪARE ‘O RO’I-TŌ-MŌANA Hopuhopura’a nō te ‘Aitō
‘OUTU tei tai MATA-HIRA-I-TE-RA’I
E PAPA tei ni’a i taua ‘outu ra Vauvaura’a nō TINIRAU-HUIMATA
Terā noa mai ra TE-AVA-MŌ’A ‘Oia tei parauhia ē TE-TAI-RAPA-TI’A
He’era’a nō ke Pape ō HĪVĀ Hīvā i te topara’a-mahana Hīvā i te hiti-mahana »
Un SOMMET culmine, TE-A’E-TAPU Te-a’e-tapu et Urufa’atiu
Deux éminences inséparables
Dessous, juste en-dessous
Le SANCTUAIRE VAEĀRA’I
Piédestal où sont exposés les huit armes
Une PLACE PUBLIQUE s’étend dans la plaine MATA-TI’I-TE-TAHUA-ROA
Mes COURS D’EAU s’écoulent inépuisables VAI-TARA-TŌA, VAI-TĪARE
C’est aussi RO’I-TŌ-MŌANA
Eaux d’ablution pour les Braves
Une PÉNINSULE s’étire sur le littoral MATA-HIRA-I-TE-RA’I
Une plate-forme domine cette péninsule
Elle assoit les prérogatives de TINIRAU HUIMATA
Et là-bas, s’étale TE-AVA-MŌ’A
Celle dont on dit qu’elle est
« La Mer Fortifiée de Pales de Rames » Sur laquelle glisse l’Onde de HĪVĀ Titans-Pêcheurs-d’Espaces de l’Ouest Titans-Pêcheurs-d’Espaces de l’Est
Taputapuātea,
au cœur de la civilisation polynésienne océanienne
Taputapuātea se situe dans l’océan Pacifique au cœur de la Polynésie orientale, aire comprise entre Hawai’i, l’île de Pâques et la Nouvelle-Zélande, formant le « Triangle Polynésien », immense étendue océanique constellée de petites îles éloignées formant le grand territoire océanique, Te-Moana-Nui-ō-Hīvā occupé par l’ancienne civilisation mā’ohi, et dernière région à avoir été explorée et peuplée par les sociétés humaines il y a environ 1000 ans.
Carrefour religieux, intellectuel, culturel et politique rassemblant tous les archipels du Triangle polynésien, Taputapuātea a été le centre d’expansion et le point de convergence de réseaux s’étendant à une échelle considérable, plusieurs siècles durant.
Situation géographique
État partie : France
État, Province ou région : Polynésie française, Îles Sous-le-Vent, Île de Ra’iātea Nom du bien : Taputapuātea
Coordonnées géographiques du centre approximatif à la seconde près :
– Latitude : 16° 50’29,04’’ S
– Longitude : 151° 22’20,56’’ O
Description textuelle des limites du bien proposé pour inscription
Le bien proposé pour inscription est composé d’une partie terrestre et d’une partie marine : il comprend deux vallées, une portion de lagon, le récif corallien barrière qui limite le lagon et une bande océanique au-delà du récif barrière.
La limite du bien forme un polygone qui commence sur le rivage au point A qui limite le bassin versant d’Ōpōa au nord-ouest et suit la ligne de crête, en englobant les bassins versants des vallées d’Ōpōa et Hotopu’u, et en passant par une série de sommets et points remarquables de la crête (points B à M), dont les plus importants sont les sommets des montagnes ‘Orofātiu (point H, 825 m d’altitude) et Tea’etapu (point J, 770 m d’altitude). La ligne de crête se termine au point N du rivage, qui correspond à la limite traditionnelle du territoire de Hotopu’u, au lieu-dit Tepapatainuna, matérialisé par un rocher.
La limite se prolonge ensuite en ligne droite dans le lagon puis en mer jusqu’à 300 m au-delà du récif barrière au point O. La limite du bien comprend une bande océanique de 300 m de large et s’étire ainsi le long du récif barrière en suivant sa topographie jusqu’au point P. La limite revient d’abord en ligne droite vers le lagon jusqu’en bordure du massif corallien au point Q, puis ferme le périmètre du bien en ligne droite jusqu’au rivage au point A.
Le peuple de l’Océan
Il y a 1000 ans, les navigateurs polynésiens repoussaient les limites terrestres et s’aventuraient en haute mer à la recherche de nouveaux territoires vierges, de nouvelles îles à explorer et à peupler. Forts de savoir-faire nautiques qu’ils approfondirent au fil de l’eau, doublés d’un sens inné d’adaptation et d’osmose avec les éléments de la nature, ces explorateurs des temps mythiques, hardis navigateurs de l’hémisphère austral, firent de l’océan Pacifique un continent unique, leur vraie terre ferme et originelle, posant les bases d’une véritable civilisation de la pirogue, cet espace communautaire socio-politique que l’on appelle un Vā’a.
Migrations Polynésiennes
Les théories actuelles donnent à voir des migrations polynésiennes se déployant d’Ouest en Est, depuis la Polynésie occidentale (Samoa, Tonga, Wallis) vers la Polynésie orientale dès la fin du 1er millénaire. Les îles de la Société ont ainsi pu servir de foyer d’expansion vers le reste de la Polynésie.
Des techniques de navigation sophistiquées
Les navigateurs polynésiens ont développé des techniques extrêmement sophistiquées de navigation sans instruments, s’appuyant sur une observation ne de la course des étoiles, du ciel et des éléments marins.
Cette expertise s’est doublée d’une grande compétence dans la construction d’embarcations hauturières solides, les pirogues doubles de voyage, résistantes au temps et aux mers du large du fait d’un judicieux assemblage exible des parties principales qui les composent. Ces techniques de navigation et la construction de pirogues à toute épreuve ont permis aux navigateurs mā’ohi de couvrir des distances considérables, se rendant régulièrement aux îles Hawai’i, en Nouvelle- Zélande ou à Rapa Nui. l’Île de Ra’iātea, devenue lieu de lancement, de relâche ou de ralliement, et destination de nouvelles expéditions, s’est spécialisée dans les connaissances relatives à une navigation de plus en plus élaborée, avec l’implantation à Taputapuātea-Ōpōa d’une école pour maîtres-navigateurs tahu’a-va’a, spécialistes également dans la constructions des grandes pirogues doubles de voyage.
Marae
Les marae sont des monuments dédiés au culte d’une ou plusieurs divinités du panthéon polynésien et aux différents rituels de l’ancienne religion polynésienne, constituant l’espace le plus saint et le plus sacré du paysage cultuel et culturel. À partir du 14e siècle, les marae ont fait l’objet d’innovations propres aux Îles de la Société, avec la construction de différentes structures bâties en pierre et en corail, complétées d’éléments rituels récurrents.
La plupart des vestiges de marae sont de taille modeste et sont ceux de maisonnées ou de groupes familiaux, les marae se situant à proximité des vestiges des habitations.
Certains marae avaient en revanche une fonction sociale à plus grande échelle pour des groupes élargis et pour des chefferies, quelques uns d’entre eux ayant même acquis une dimension « nationale » à l’échelle d’une île, voire « internationale » à l’échelle d’un réseau de chefferies alliées ou de réseaux religieux solidaires.
Les marae du complexe du Marae Taputapuātea représentent des exemples architecturaux éminents des marae monumentaux caractéristiques des Îles Sous-le-Vent. Orientés vers des éléments du paysage naturel très précis (sommet, passe…), ils regroupent les formes architecturales emblématiques des marae : pavages basaltiques quadrilatéraux, plateformes rectangulaires dénommées ahu et formées par des grandes dalles coralliennes et de basalte dressées, pierres dressées de différentes tailles. Ces monuments comportaient aussi jusqu’au 18e siècle de nombreuses constructions et installations en bois aux différentes fonctions rituelles, entourés de nombreux arbres et espèces végétales sacrés et symboliques.
