Produire des fruits et légumes de qualité est un véritable challenge dans un pays tropical où les cultures sont attaquées par une multitude de ravageurs (mouches blanches, acariens, pucerons, thrips, mouches mineuses, etc.). Ces insectes prolifèrent très rapidement dans ces climats et causent des dégâts très importants. Ils sont très difficiles à contrôler. Les cultures maraîchères sont les plus touchées.

Les pesticides ont représenté lors des dernières décennies la solution utilisée par la grande majorité des agriculteurs pour combattre ces nuisibles. Face aux risques vis-à-vis de l’environnement et de la santé humaine, un nombre croissant d’agriculteurs souhaitent utiliser des méthodes de lutte moins polluantes.

La cellule phytosanitaire de la DBS et la direction de l’agriculture mène des actions dans ce sens. La lutte biologique contre la cicadelle pisseuse, le Brontispa du cocotier, les mouches des fruits illustre l’efficacité de cette méthode de lutte. Pour prolonger et approfondir notre domaine de compétence et nos connaissances, une étude sur la faune auxiliaire des insectes ravageurs de nos cultures est en cours.

La lutte biologique est une solution alternative à la lutte chimique ou complémentaire à  une lutte chimique raisonnée (lutte intégrée). C’est l’utilisation d’un organisme (l’auxiliaire ou l’agent de lutte biologique) pour combattre un autre organisme (le ravageur ou le nuisible). Les auxiliaires peuvent être des insectes prédateurs tels que les micro-guêpes (parasitoïdes) ou des organismes pathogènes (bactéries, virus,..)


 

Le SDR concentre, actuellement, ses travaux sur la lutte biologique contre les insectes ravageurs par l’utilisation de prédateurs tels que les micro-guêpes

La cicadelle pisseuse : un fléau pour l’environnement et l’agriculture

La cicadelle pisseuse, Homalodisca vitripennis, introduite malencontreusement de Californie, a envahi Tahiti en 1999. Elle s’est rapidement et largement dispersée en Polynésie française (10 îles infestées situées dans 3 archipels différents : Iles de la Société, Marquises, Australes). La prolifération de cette peste a généré d’importantes perturbations agricoles, écologiques et sociales en Polynésie française (affaiblissement des plantes, risque de transmission de maladies, « pluies » dues aux excrétions sous les arbres, invasion par centaines le soir dans les maisons, etc.).

photo de larve de cicadelle pisseuse


 

Le programme de lutte biologique

photo d'élevage de parasitoïde

En raison de la gravité de la situation, un programme de lutte biologique contre cette cicadelle à l’aide du parasitoïde (micro-guêpe) Gonatocerus ashmeadi a été mené à partir de 2004 par le Département de la Protection des Végétaux et la Station Gump de l’Université de Californie à Moorea. Il a d’abord été démontré que cette micro-guêpe, inoffensive pour l’homme, ne parasite pas les cicadelles indigènes. Elle a ensuite été importée de Californie en septembre 2004, élevée à Papara et près de 14 000 individus ont été lâchés sur l’île de Tahiti en 2005.


En quelques mois, elle s’est répandue dans l’île entière et, depuis, la population de cicadelles pisseuses est durablement réduite de 90 % par rapport à la situation antérieure. Des introductions volontaires et accidentelles ont eu lieu dans les autres îles où d’aussi bons résultats ont été obtenus.

Fini les « pluies » sous les arbres à Papeete, fini les maisons jonchées de cadavres de cicadelles au matin.

Le suivi sur plusieurs années montre une fluctuation saisonnière des populations de cicadelles. Leur nombre augmente en fin de saison fraîche qui est moins favorable au développement de la micro-guêpe et au parasitisme.

Les résultats sont parus dans UCR Newsroom ou de façon plus détaillée dans Biological Invasions.
Page réalisée par Julie Grandgirard.

Plus de 100 espèces d’auxiliaires de lutte biologique ont été recensées à ce jour. Il s’agit principalement de coccinelles, de micro-guêpes, de punaises et d’acariens. Ces auxiliaires s’attaquent à quasiment tous les types d’arthropodes ravageurs rencontrés : insectes, acariens, thrips.

Par exemple :

  • la micro-guêpe Lysiphlebus testaceipes sur pucerons
  • Encarsia sur les larves d’aleurodes
  • Trichogramma sur les oeufs de papillons
  • une mouche Feltiella acarisuga sur l’araignée rouge
  • une punaise Orius sp. sur thrips
  • une coccinelle Cryptolaemus montrouzieri sur cochenilles.

Une véritable armée d’auxiliaires est donc prête à livrer bataille. Pour cela, il faut les préserver et ne pas les exterminer en même temps que les ravageurs ! La direction de l’agriculture apporte sa pierre dans cette lutte par des études biologiques des organismes en cause et encore plus concrètement par des lâchers d’auxiliaires élevés en laboratoire

Pour une lutte biologique efficace, il faut assurer des conditions défavorables pour les organismes nuisibles et aussi créer ou maintenir un environnement favorable à la prolifération des auxiliaires.

Mieux utiliser les insecticides

Pour éviter que les insecticides éliminent les auxiliaires en même temps que les ravageurs, il faut :

  • Eviter de traiter systématiquement les cultures (par exemple une fois par semaine), mais traiter uniquement en cas de besoin.

    Pour cela, faire des observations régulières des plantes pour détecter rapidement les attaques de ravageurs ou les maladies, et évaluer la nécessité d’un traitement. Des méthodes de détection peuvent être utilisées comme des pièges à phéromones, des pièges collants, des comptages …

  • Bien identifier le problème et ses causes : nutrition, maladies (virus, champignon, bactérie), insectes (pucerons, cochenilles, aleurodes, thrips), acariens …
  • Utiliser des solutions alternatives à la lutte chimique quand elles existent (ex : pièges à phéromones).
  • Utiliser des pesticides spécifiques (ne tuer que le ravageur visé et pas les auxiliaires), privilégier les produits à faible rémanence et respecter les doses et les délais avant récolte.

Aménager des zones de vie pour les auxiliaires

Pour attirer et maintenir les auxiliaires sur les parcelles et favoriser leur multiplication, on peut utiliser des « plantes réservoirs ». Ce sont des plantes à fleurs pour la majorité des auxiliaires ou des plantes herbacées pour les coléoptères prédateurs. Ces plantes réservoirs sont plantées en bande au sein de la culture. Elles fournissent un abri, de la nourriture (pollen et nectar) et les conditions nécessaires à leur reproduction.

Parmi les plantes réservoirs, on trouve :

  • l’aneth (Anethum graveolens)
  • la coriandre (Coriandrum sativum)
  • la fève (Vicia faba)
  • la phacélie (Phacelia tanacetifolia)

Dans les vergers, il est conseillé de laisser le sol enherbé pour fournir un refuge aux auxiliaires.

Lâcher des auxiliaires

Pour compléter l’action des auxiliaires naturellement présents, des lâchers d’auxiliaires peuvent être réalisés. Cette méthode consiste à élever et multiplier les auxiliaires en laboratoire et à les lâcher sur les cultures en très grand nombre en cas d’infestation par des ravageurs. Elle peut être envisagée quand les auxiliaires assurent un contrôle insuffisant ou quand ils arrivent trop tard sur la culture (cas des cultures sous serre).

Par exemple, dans les cultures de concombre sous-serre à travers le monde, des coccinelles sont lâchées pour lutter contre les pucerons, des micro-guêpes pour lutter contre les mouches blanches ou les mouches mineuses, des punaises pour lutter contre les thrips.

Cette méthode nécessite de nombreuses mises au point aussi bien pour la maîtrise de l’élevage que pour le succès des lâchers (conditionnement, dosage, nombre et fréquence des lâchers, etc.). C’est donc une méthode longue à mettre en place, en particulier en culture en plein champ où il faut s’assurer que les auxiliaires lâchés vont rester sur la culture et ne pas se disperser ailleurs.

L’importation de nouveaux auxiliaires peut être envisagée lorsqu’il apparaît que des ravageurs importants ne sont pas ou sont mal contrôlés par ceux qui sont présents dans les cultures.

Le processus d’introduction d’un auxiliaire est long et complexe. Il comprend 5 étapes.

Etape 1 : Cibler le ravageur

L’introduction d’un nouvel auxiliaire n’est pas forcément la meilleure méthode pour combattre un ravageur. Par exemple, le charançon du bananier est facilement contrôlé par des pièges attractifs (pièges à phéromones). Il faut donc choisir un ravageur pour lequel la lutte biologique est la solution la mieux adaptée (par rapport aux autres méthodes disponibles.

Etape 2 : Choisir l’auxiliaire

Le choix de l’auxiliaire est crucial pour garantir le succès de la lutte, mais aussi pour éviter les impacts néfastes sur la biodiversité.

Pour être efficace, l’auxiliaire doit posséder de fortes capacités de reproduction, de prédation/de parasitisme, de dispersion, et être adapté aux conditions locales (climat, interaction avec les autres auxiliaires, présence d’hôtes alternatifs, etc).

L’auxiliaire choisi doit être spécifique du ravageur visé pour préserver la biodiversité locale. Si besoin, des tests doivent être menés en laboratoire pour connaître l’impact de l’auxiliaire sur les espèces locales. Les îles de Polynésie sont en effet particulièrement vulnérables aux introductions, car les espèces locales sont peu nombreuses, et souvent uniques au monde. Elles ne sont pas armées pour répondre aux agressions des espèces venant de l’extérieur.

L’introduction d’un auxiliaire qui attaquerait des papillons endémiques en plus des ravageurs conduirait à la disparition de plantes endémiques dont ces papillons sont les seuls pollinisateurs.

Les auxiliaires commercialisés dans d’autres pays ne sont pas toujours de bons candidats pour lutter contre les ravageurs présents en Polynésie. Ils ne sont pas adaptés aux conditions locales (climat, autres espèces) et ils peuvent représenter un risque pour la biodiversité.

Etape 3 : Importer et élever l’auxiliaire

L »auxiliaire importé doit provenir d’un élevage en conditions contrôlées et être élevé en quarantaine à son arrivée pour limiter tout risque de contamination (bactéries, hyperparasites, etc.). Cela permet aussi de le multiplier en vue des lâchers et si nécessaire de réaliser des tests sur les espèces non visées.

Etape 4 : Lâcher l’auxiliaire

Pour s’assurer que les auxiliaires lâchés vont se disperser et se reproduire, le lâcher doit se faire selon un protocole précis (nombre d’individus par lâcher, nombre et fréquence des lâchers, etc.) sur des sites sélectionnés et exempts de pesticides.

Etape 5 : Evaluer l’efficacité de la lutte

Un suivi de l’établissement, de la dispersion et de l’impact de l’auxiliaire sur le ravageur (et si possible sur les espèces non visées) est nécessaire pour évaluer la nécessité d’autres lâchers et l’efficacité de la lutte.

Cette méthode de lutte doit s’accompagner d’une modification des pratiques pour que l’auxiliaire introduit ne soit pas détruit lors des traitements insecticides et que les zones de culture offrent des conditions favorables à sa prolifération.